Playlist – Nesles.

The Beatles – Happiness is a warm gun


Tout est là. J’avais 10 ans.
L’omniprésence d’un grand-père chef d’orchestre (que je n’ai pourtant jamais connu) et l’obsession familiale pour la musique classique m’oppressait littéralement.

Et voilà que pour mon anniversaire, un oncle ex-soixante-huitard me balance dans les dents une flopée de 45 tours des Stones, des Beatles, quelques albums et surtout le Double Blanc. 
Dire que ça a changé mon rapport à la musique du tout au tout est un euphémisme.

J’ai adopté ces 4 gars immédiatement, allant jusqu’à emporter les albums en ‘boum’ : je rêvais de danser un slow sur Cry Baby Cry. Effort inutile : moqueries. Qu’importe. Je repartais, légèrement humilié certes, mais sachant que je remportais avec moi le plus beau des trésors.

Et ça n’a jamais changé.
 Voir Ringo pleurer dans le magnifique documentaire de Scorsese sur George Harrison m’a tiré des larmes instantanément.
 Ces 4 gars sont nos grands frères. Nous sommes nés avec eux…


The Rolling Stones – Off the Hook


Comme pour beaucoup, ma culture musicale est d’abord anglo-saxonne.
 Le rock et le cinéma sont sans doute ce qui m’a poussé à faire des études de littérature anglo-américaine – des études artistiques étant alors proscrites.
 Mon intérêt pour le français est venu avec la poésie, le théâtre puis la littérature. Certainement pas par la chanson française.

Ce n’est qu’après quelques infructueux essais, des études en Art Dramatique à la Rue Blanche et l’envie d’explorer des territoires nouveaux que je me suis mis à essayer de télescoper mon identité française et ma culture anglo-saxonne.
 Grâce aussi à des gens comme Bashung (avec Fauque), Manset, Dominique A, Murat, Vanot, Katerine, Miossec et nombre de groupes hexagonaux pour le moins obscurs mais passionnants et dont je conserve jalousement quelques cassettes ou vinyles. Merci à eux tous.

Les Stones donc.
Sexy, sauvages, classes, insolents. L’aristocratie tachée de sperme, de cyprine, de sueur et de fausse crasse.
Ce titre qui est une reprise me rend absolument dingue. Depuis toujours. Observez les sourires de Brian Jones, l’irrésistible moue lippue et suffisante de Jagger, sa façon de se dandiner.
 Comment ne pas succomber, comment ne pas vouloir être eux ?
 Voilà l’essence même du rock, nous le savons tous. 
Ce mensonge empoisonné qui donne ce sentiment d’être immortel.
 Ce mensonge tragique qui dit que tout est possible. Et en fait, oui : tout est possible.


Bob Dylan – Main Title Theme (Billy) / BO du film Pat Garrett and Billy the Kid 

Même si j’aime profondément sa voix, cet instrumental fait partie de mes morceaux favoris de Dylan.
 Dès les premières notes, j’oublie où je suis, j’enfourche ma bicyclette aux côtés de Bob (Alias dans le film) et file à travers les tumbleweeds, pourchassé par Garrett et sa bande de crevards. Malgré le souffle de la mort sur la nuque, tout parait léger.


The Jesus and Mary Chain – Some Candy Talking

Découvert grâce à l’émission Rockline de Bernard Lenoir (j’en possède encore la bande son sur k7 audio), les Jesus & Mary Chain avaient tout pour me plaire : 2 frères pleins d’une arrogance que je n’avais pas, le look, l’accent et la tchatche irrésistible (‘most of pop music is rubbish !’ en roulant les ‘rrrr’), l’attitude, la noblesse pouilleuse, le faux détachement, et surtout des chansons et un son qui bousculaient toute la pop anglaise.

Le mythe de la fratrie dans la musique reste aussi quelque chose d’assez captivant. J’aurais rêvé de faire la même chose avec mes 3 frères. Mais vu nos différences d’âge, cela mit fin assez rapidement au fantasme !
 Pour la petite anecdote, quelques années plus tard, je servis aux 2 fameux frangins des sandwiches et des sodas dans le café où je bossais alors, et qui se trouvait face à la Maison de la Radio : the Jesus & Mary Chain se rendaient à l’enregistrement d’une Black Session. Lenoir again ! La boucle était bouclée.

Longtemps j’ai gardé le ticket de caisse graisseux de leurs consommations jusqu’à ce que, me trouvant finalement assez ridicule dans ce fétichisme obsolète, je finisse par le jeter. La décharge. Un bel endroit où finir pour les Jesus.


Eyeless in Gaza – Picture the day

Et là révélation fut.
 Totalement subjugué par les superbes pochettes de ce groupe dont je ne connaissais rien, j’avais d’abord acheté au hasard Photographs as Memories, un album ‘lame de rasoir’ qui tranchait rageusement avec tout ce qui se faisait à l’époque – soit au tout début des années 80. Comment pouvait-on être à ce point dérangeant et envoûtant ? Je voulais aller plus loin. Et sur l’album Drumming the Beating Heart, je découvre cette pépite de 1 minute 45 !
 Comment pouvait-on chanter comme ça ? Avec une telle rage et un tel bonheur à la fois ? C’était si contagieux. Tout dans ce groupe m’excite et me bouleverse.
 Martyn Bates est sans doute celui qui m’a donné le plus le courage de chanter – l’envie était déjà là, mais je l’ai longtemps ignorée…


Echo & the Bunnymen – Ocean Rain

La messe ! Tout y est : mélodie, arrangements de cordes somptueux, équilibre impeccable, interprétation majestueuse – et tellement assumée !
 Une émotion intacte m’embarque à chaque écoute. Comme une lame de fond.


Bruce Springsteen – Nebraska

J’ai toujours abhorré les solos de guitare.
 Une phrase m’est restée, concluant des nuits de débats sur la question (je précise que les protagonistes de ces débats de la plus haute importance et situés au milieu des années 80, avaient pour la plupart le visage encore couvert d’acné) : « Un bon musicien n’est-il pas finalement celui qui fait la bonne note au bon moment ? » 
J’y pense souvent en souriant quand j’écoute Nebraska.
J’ai mis pourtant des années à apprécier cet album. Mais quelle récompense!
 On est dans un dépouillement, une mise à nue totale qui force le respect : une voix, seule, une guitare, quelques instrumentations égrenées ici et là, toujours discrètes, toujours indispensables. C’est rêche et pourtant si doux. Comment le Boss a-t-il réussi à aller ainsi jusqu’au core ? Cet album est à la fois une leçon et un cadeau.
 Et quelle pochette là aussi…


Jacobites (Nikki Sudden & Dave Kursworth) – Ambulance
Station

Encore un album acheté sur la bonne foi d’une pochette que je continue à trouver fascinante.

Qui étaient ces types ? Pourquoi me regardaient-ils ainsi ? Goguenards, l’air vaguement défoncés, visiblement sales et pourtant si séduisants.
C’était en Belgique. J’allais avoir 20 ans.
Et je savais que ce disque était pour moi. Il fallait que je l’aie.

Pourtant, à la première écoute de cet album, je me rappelle m’être demandé si je n’avais pas fait une immense connerie tant je trouvais que ça chantait faux. Mais le charme était bien là, me happant irrésistiblement. Dans la tristesse infinie de cette chanson, dans le gris de la pochette. Tout cela en complète harmonie avec cet hiver belge qui me pesait et me plaisait tant…
 Pendant quelques mois, malgré les quolibets de mes compagnons de Fac, je me suis sapé comme le chanteur des Jacobites, Nikki Sudden : foulards psychédéliques et déchirés, caban sombre miteux, pantalons noirs trop serrés, creepers pointues à bouts ferrées, cheveux dégoulinants dans les yeux. J’ai même essayé le rimel quelques temps à Londres.

De cette époque je n’ai gardé que le disque.
 Poisseux mais salvateur.
 Quant à « chanter faux », quelle idiotie. Relire ce qu’écrit Dominque A au sujet de Daniel Darc…


Morrissey – Why dont you find out for yoursel

Le retour en grâce.
 Un titre qui porte en lui une révolte, un besoin d’amour immense, une morgue salutaire de bête blessée.
 Dès les premières notes je frisonne. Quelle interprétation là encore !
 C’est avec ce titre que j’ai compris que dans les Smiths c’est d’abord lui que j’aimais. Mettez une tondeuse à gazon ou un hachoir électrique derrière lui, je m’en fous : j’entends et j’écoute Morrissey. Et c’est foutrement bon.


Mozart – Concerto pour clarinette K.622 en La Majeur / II. Adagio

L’œuvre absolue. Qui me calme en toute circonstance.
Un soir d’angoisse je suis entré dans un magasin de disques encore ouvert, et le gars avait mis ça. Ça m’a instantanément apaisé. Comme si on avait appuyé sur le bon bouton.

Je trimbale ce concerto pour clarinette partout avec moi. M’imaginer sans m’est totalement impossible.
 J’en préfère la version low tempo à celles qu’on entend habituellement et dans lesquelles des virtuoses de la clarinette font passer leur ego avant la partition. Ce concerto est pour moi la clé de la réconciliation avec bien des choses. Dont la musique classique. Et je m’en suis depuis, toujours réjoui.


Nick Cave – We No Who U R

Détesté la première fois que je l’ai entendu – mais comment ai-je pu ? – cet album, et en particulier ce titre, est d’une intensité et d’une épure qui me semble correspondre à ce que nous devrions tous viser, nous-autres artistes. Une sorte de Graal. Nick Cave est l’exemple même d’une vieillesse possible dans le rock, cherchant et creusant toujours. Rien à redire évidemment.


Tindersticks – Trouble every Day – BO films de Claire Denis

Découverts en même temps que Lambchop – dont j’aurais pu aussi bien mettre un titre. 
Cette façon de chanter qui hésite, revient, repart puis reprend de plus belle, est unique en son genre.
 L’apport des Tindersticks aux films de Claire Denis que j’adore est indéniable. Le concert vu à l’église St Eustache en fut une épreuve éclatante.
 Mais leur prestation au Casino de Paris quelques années plus tôt avec orchestre reste pour moi un moment de grâce sans précédent, inoubliable. Ce fut aussi fort et émouvant que Joseph Arthur ou Rufus Wainwright vus en solo à peu près à la même époque. La barre était haute.


Martin Denny – The enchanted Sea

Entre Ennio Morricone et Daktari. C’est mon ‘heure exquise’. Et tout de suite me reviennent les souvenirs d’une ambiance chaude et rassurante, celle des années 70 (allez savoir pourquoi), le goût de la limonade, des tartines avalées à la hâte au sortir de l’école avant d’aller courir sur les pelouses soyeuses qui nous attendaient. C’est l’idée que je me faisais d’un monde parfait. C’était l’enfance. Martin Denny m’y ramène. Irrésistiblement. Sans compter que c’est sur sa musique que j’ai abordé ensuite le rivage d’un certain Eden Ahbez…


Bizet – Carmen suites n° 1 & n° 2 – Léonard Bernstein

 

Je n’aime pas l’opéra. Ou plutôt je n’y suis pas très sensible – à quelques exceptions près.
Grâce à Bernstein qui m’accompagne depuis ma petite enfance, nous voici en présence d’un album merveilleux pour découvrir Bizet. On appelle cela la vulgarisation je crois, et je n’y vois rien de vulgaire. Bernstein y excelle. J’avais la chance (même si je considérais alors ces sorties comme de véritables sacerdoces) d’avoir des parents avides de concerts et de théâtre, et nous ne passions pas un mois sans aller à Gaveau, Pleyel ou la Comédie Française. Si Carmen m’était complètement passé au-dessus du cigare, Les Pêcheurs de Perles m’avait en revanche ébloui.
C’est donc Berstein, basant les parties vocales de l’œuvre, qui me réconcilia avec ce drame si populaire.


Art Pepper – Diane’s Dilemma

Depuis un moment, grâce à quelques bonnes âmes qui savent me guider, je me suis mis à écouter du jazz. 
Le jazz me repose du reste. Pas de voix, pas de texte, juste de la musique. Libre.
 J’y découvre une virtuosité au service de l’émotion, une énergie, une sensualité bien souvent que j’aime et envie. Et un son. Car ici c’est l’interprétation qui fait le son. Rien d’autre. Au diable artifices, effets, post-prod ou ‘plug-ins’.
 C’est ma dernière grande découverte.
 Et cet album d’Art Pepper fut un sésame.
 Merci.


Nesles

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