De nos deux Amériques, qui du serpent, qui de l’aigle ? L’amer ictus (by Guillaume Mazel).
D’abord, il y eut le bruit tant reconnaissable des semelles sur le gravier, ce sont des pierres humides qui ne savent mentir, si rondes qu’elles ne se choquent pas, mais se caressent entre elles comme des boules chinoises, des bottes lourdes, ce sont des bottes lourdes, mais énergiques. On apprend sagement, car ici on a le temps, on en pourrit gaiement, on apprend à discerner des silhouettes juste par la sonorité des pas, des détails, post-mortem, qui dessinent des portraits robots de chairs imaginées, malaxée masse, glaise première – née. Voici un homme fort, un cheval de trait à la sauvagerie domptée, un homme lourd, décidé, ses pas sont racines arrachées qui promènent sur leur écorce la terre natale, où il va, il reste chez lui, et sort sa demeure pour dormir en lui. Il est puissant comme éléphant, sur de lui, capable du rôle d’Atlas sous tout planisphère, capable de soutenir un peuple, alors que moi je voulais le dénuder. Je sais qu’il est étranger au rythme de sa marche presque militaire, les gens de promenade au père de Paris sont lents car leurs regards veulent voir le temps qui est posé sur les façades, lui, a une histoire bien plus récente, et vient sans regard, et vient sans façades, il vient directement, décidément, l’histoire qui l’intéresse est à venir, sans doute dans des ailleurs pluriels, il est urgence, il semble vivre dans l’urgence. J’ai tellement appris à vous deviner, j’ai tellement sondé vos désirs et puisés vos erreurs, j’ai tellement vu d’accidents dans vos âmes, je ne me trompe plus comme je me trompais sur moi, la science du défunt, la devinette sans sang, je sais si bien vous connaitre sans vous savoir, que j’en fais une magie, oh, j’ai tellement désiré le chaman, le sorcier, j’ai tellement désiré le non-humain. Il vient vers mon foyer, mon nid de couleuvre, oh oui, il cherche le serpent, il cherche l’autochtone égaré, le reptile, l’origine, l’odeur d’un territoire, il cherche son drapeau, il cherche le venin et puis l’antidote, et l’écho de ses bottes avoue sa douleur et la vitesse d’un remède. J’ai toujours été très lucide, parfois translucide, parfois transe, et même sans yeux pour mes orbites, j’ai toujours su que dire de la vie, et comment le dire en ne disant rien, en cachant mes vérités sous des proses, l’armure, l’écaille du serpent, j’ai toujours su que dire, et j’ai désormais appris tout sur la mort, je sais pourquoi il vient, il y a ce point commun étendu à perte de terre, je le sais, il articule ma langue, il se parfume de mes paysages, mais il n’a pas l’essence, le nectar, le pus, il flotte encore quand il est temps de sombrer, là est la lumière, là est la lumière. Approche, ouvre la lourde porte, ton démon ou ton ange t’attend, le vrai ou le mensonge, t’attend dans sa chapelle nauséabonde, je sens à putréfaction, je suis la pourriture de mon temps. Approche, vaillant, de plus grandes tours sont tombées, des plus vieux que nos 27 ans sont restés vivant et n’ont peut être rien compris. Approche, ton jean est raide comme un Séquoia, je vais t’expliquer pourquoi ces couleurs sur ton drapeau, le bleu du froid et le rouge du sang, les étoiles enviées et les barreaux infranchissables, je t’expliquerai ces chaines qui ne se quitteront jamais de nos chevilles, même si on les suppose faites du bronze de nos cloches. Approche, fait crisser ces gongs comme le pleur des Fender, ces pleurs de quand nos esprits se croyaient libres et ivres, et s’embourbaient pourtant. Approche.
La porte semblait infranchissable, plus par respect que par serrure, mais il ne me reste que ce spartiate pour m’expliquer ce nouveau monde qui semble si vieux dans ses cicatrices, si il faut faire ce pas, je serai le premier à le faire, je ne me froisse jamais, je ne me rends jamais, je doute, je brûle, je hurle, mais la blessure se soigne et ce qui ne me tue pas me rend plus fort, je suis le bison, je suis l’asphalte de 66, je suis l’aigle sur les côtés des trucks. J’ai fait ce chemin depuis ces champs infiniment verts qu’abreuvent les tornades, je suis foyer, je suis demeure, famille, depuis ces Cadillac plantées pour faire croitre les rêves américains jusqu’aux hémicycles d’or, le lit de ma rivière n’a de fin, ma rivière n’a d’océans. Je viens le voir, le poète absurde, l’âme profonde des hier saoulés, le rêveur du vice, la face d’un peuple qui ne veut parler tant il cris, la face de mon peuple que l’on cache a mon peuple, je viens voir l’autre vérité, si je veux être américain, il faudra qu’il me baptise, qu’il m’envenime, qu’il me damne, et me purifie dans son torrent de boue. Sinon, je lui donnerait l’extrême onction et irai semer ailleurs.
– Ta main tremble, paysan, passe, je ne suis dieu que dans mon égo, donc démon dans ma vérité, n’aie crainte pasteur de brebis entorchées. Tu viens chercher des mots que je ne dirai pas, mon silence est professeur, ton voyage est inutile si tu crois aux sons, tu veux que je te dise quelle religion est ce pays, de la tienne qui rêve ou de la mienne qui cauchemarde, de la tienne qui croit, ou de la mienne qui pense, Parlons alors.
– Crois-tu vraiment que j’ai quelque frayeur à venir à ton mausolée ? Crois-tu que je sois moins que toi ou plus qu’un autre, je viens des champs de maïs et des ciels plombés, je viens d’où un accent tranche sans besoin de mensonge, je suis un golem fait de la terre de labours et de villages, alors que ta rue était un plastique mal coloré qui défiait la peau, oui, surement, tu étais beau comme l’air, mais je suis puissant comme la terre, c’est pour cela que notre pays sait combattre le feu. Parce qu’il ne se décide jamais entre deux visages.
– Notre pays, non, ma langue n’arrive pas à comprendre la tienne, et mes attrapes-rêves comanches ont plus de sens que tes jeans usés, nous ne sommes pas du même lieu, nos racines se sont touchées peut être du bout d’un continent, mais nos engrais sont d’ailleurs, je fus champignon, fruit de la pourriture, et tu es encore prairie, héritier d’un soleil.
– N’en sois pas si sûr, nous sommes faits de la même pierre, les américains cherchent des dieux pour chaque heures, c’est ce qu’il reste de la peur, c’est ce qu’il reste du besoin, toi comme moi seront des mythes aux panthéons sans normes ni gouts.
– Des mythes pour miter la peur ? Fermier, j’aurais été plus profond.
– Tu aurais été plus évasif, tu as fui plus d’une fois dans tes dimensions infantiles alors qu’ils te soulevaient de leurs bras.
– Et plus d’une fois tu as foncé dans le tas sans qu’ils t’érigent, les américains sont comme ces vices desquels on s’entiche et puis qu’on aime presque par inertie, le rêve américain n’existe que pour des Européens fatigués de leur histoire et des Africains qui n’ont su comprendre leurs biographies, le reste envie encore tellement que la haine nous décrit dans leurs plasmas, comme pour moi, les américains t’aimeront comme par folie et à l’heure de la raison, ils aimeront leurs balles et leurs uniformes.
– Pourquoi je lutte alors ? Crois-tu que juste pour mes champs de Nebraska et ces enfants qui y courent à l’abri des tours fragiles, pour certaines couleurs, pour certaines idées ?
– Combats ponctuels les tiens, moi, je me battais pour leurs conscience, là nait toute liberté.
– Combats de toute une vie, je me bats encore, à l’usure on chasse nos faiblesses, il y a des égalités, des libertés à afficher sur toutes les cloisons, des bras à lever, des luttes à continuer, des enfants à enseigner, des vieillards à protéger, il faut prier pour sauver, chanter pour élever.
– Trop de messes laissent des buées sur vos fenêtres, mais cela n’importe, toute lutte est admirable, je te le reconnais, les bras morts et les fronts bas ne dressent pas des tables ni servent des festins, sans pas, nul n’atteint nos Valhallas intimes, sans alcool, ne se rendent nos sioux, sans drogue, ne s’esclavisent nos noirs, mais ce troupeau de bisons aime la même falaise, je le sais bien, d’ici je les devine comme alors, armés jusqu’aux dents, avides de sang, mais effrayés par des vents, implorant des paix partout, embrassant les siens du moment que la morale leur donne volume et matière, car l’erreur se corrige en blessure ou en ignorance, comme partout, d’ailleurs.
– Tu sais, Jim Morrison, James Douglas Morrisson, de Melbourne, mais tant de New York, tant sans patrie, c’est étrangement plus facile de croire entrevoir de ce côté-ci de la ligne d’horizon, de l’espace sous-terrain de la caisse de chêne massif, de ton point de vue aveugle, car tu as perdu du temps et tes compatriotes ont d’autres défauts et attributs, de là où tu gis, la poésie est plus aisée, le poison plus efficace, le verbe plus agile à trouver, le seul problème, c’est que le son des voix arrive distorsionné, et le poids des cendres des défunts répandus ne traverse pas les strates, donc, tu es dans une capsule du temps, un refuge inavoué, une tranquillité enquilosée, d’où tu ne découvriras jamais ce qu’a gagné ou perdu l’Amérique, et là tu avais raison, la mienne n’est plus la tienne. Depuis que ta peau de serpent s’est vidée de toi et que j’ai empli mes poumons d’air, à toi, ni drogue ni sexe te font désormais compagnie ni œillères, ton Amérique te demande, sans se souvenir de qui tu as été, je suis désolé, je suis vraiment désolé, je pensais puiser en toi la force de Steinbeck et ne trouve qu’un fantôme de fantôme, hélas, ton Amérique est morte dans tes veines piquées, et la mienne mourra dans des vanités de petits villages, hélas, tu es bel et bien mort, et moi, je vieillis encore, je venais demander la route, je venais pour que tu m’éclaires, et je pars dans une épaisse fumée de regrets, les guerriers ont un temps, tristement, les héros ont un temps, je profiterai de mes heures pour ma propre odyssée, je suis né là, tu es mort ailleurs. Moi je chercherai comment sauver l’Amérique, quand à toi, crotale, cherche pourquoi tu n’as su sauver les américains. Il est si facile de comprendre pourquoi on aime autant qu’on hait se pays, car nous ne savons si aimer ou haïr toute chose.
© Guillaume Mazel
En joie de lire de si belles lignes
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