La rive.

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Depuis la création de ce blog il y a presque deux ans, les émotions musicales et les rencontres amicales ont été nombreuses, belles et fortes. Un jour j’y reviendrai. Mais rarement je n’ai été autant emporté, chaviré, bouleversé, inspiré que ce jour de l’été 2014 lorsque les morceaux d’un groupe dont je n’avais jamais entendu parlé, La Rive, ont débarqué chez moi sans prévenir. Quelques heures plus tard il y avait tous ces mots expulsés sur le papier presque malgré moi, comme dans un état second. Un jour, bientôt, quelques-uns de ces morceaux précieux existeront sur un album. C’est chouette.

Le texte complet est à télécharger en PDF ici : La Rive


Extrait :

« Mais l’homme n’arrive pas à dormir, il y a cette ritournelle lancinante qu’il croit sortie de sa tête mais dont il se rend vite compte qu’elle est bien réelle. La musique redémarre. C’est d’abord la voix qui pénètre mes pores, sa peau tout entière se relâche et laisse passer cette chaleur pure, tellement singulière. Je cherche d’où cela peut bien venir. Un vieil immeuble plus loin, une bâtisse abandonnée, un ancien casino, ou une ancienne église peu importe. Une école peut-être. Quelques murs un jour posés juste là, sur la rive. Par les hommes d’avant. D’avant tout ce gâchis. Comme temporaires. De passage. L’homme mobilise les quelques forces qu’il lui reste pour porter son corps charpenté mais amaigri par la route jusqu’à la porte du bâtiment d’où sortent ces mélodies doucement amères, joliment mélancoliques, pures et nues, dans leur plus simple appareil, comme issues directement du cœur d’un instrument, sans passer par les mains de l’homme. Je pousse la porte entre-ouverte, l’homme se traine le long d’un interminable couloir. Au bout du couloir il y a cette salle. Est-ce une ancienne salle de classe, un réfectoire ou un tribunal ? Peu importe. On ne sait pas. Une lumière hésitante dans un recoin. Une vieille table de cuisine en bois massif martyrisée par des générations d’enfants turbulents. Une chaise, un vieux canapé. Il y a deux hommes. L’un joue, l’autre chante. Une guitare, l’écho de ces murs humides, les décombres, ils n’en n’ont que faire. L’un joue, l’autre chante. La voix est belle, sereine, vraie. La musique est pure, ouverte, accueillante. Quelques gouttes suintent du plafond. L’homme n’ose pas aller plus loin. Il est figé devant ce spectacle insolite, là au milieu de ces ruines, du chaos, la sérénité inquiète et tranquille à la fois. L’un joue, l’autre chante. Ils n’ont pas remarqué ma présence, totalement investis dans ces chansons à la beauté résistante. Un panache démodé mais assumé. Le goût du travail bien fait. Je m’approche un peu, transi d’émotion, mais je ne peux pas aller plus loin. Les artisans intimident l’homme suspendu à ces notes éthérées. Chair de poule. Je ne peux pas briser cette osmose. L’un joue, l’autre chante. L’impression d’un sacrilège. Les laisser. L’homme recule alors, refait le chemin, à l’envers, fébrile, il revoit ses amours perdues, sa vie malmenée, la grâce fugace des moments de joie, les espoirs balayés, les nouvelles espérances, la foi chancelante mais toujours en vie. Touché en plein corps, je sors, il referme la porte. L’hiver sur son cœur est tombé. Peu importe, il n’a plus besoin d’été. Sur la rive il est de retour. Son cœur arrimé. Laisser dériver ses pensées, il ne se souvient plus d’où il vient. Pourquoi il est arrivé ici. Sur la rive. Au loin des fumées grimpent au ciel. De l’autre côté. C’est si loin. Ne plus sentir, la rancœur, les oublis, les doutes. Jeter dans la rivière les scories impétueuses et insolentes d’une saison en effort. Balancer au fond les promesses non tenues. Au loin les fumées de l’incendie. Accepter mes failles. Retourner dans cette chapelle, cette salle de classe, ce casino, s’asseoir et écouter. L’un chante, l’autre joue. Rester là. En secret. Sur mon cœur l’hiver est tombé. Amoureux. S’installer ici. Attendre. L’un joue, l’autre chante. »


Texte complet à télécharger en PDF ici : La Rive


© Matthieu Dufour


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