Mick Jones & André Raimbourg (by Guillaume Mazel).

Sans titre


En ce jour de date vague où le petit Mick (bien que majeur) trouva la tôle de sa plus dure que ses Doc Martens et survécu ainsi au gentil vampire

Exactement à dix mètres, à dix mètres du panneau blanc qui marquait Prétot-Vicquemare, au plus paumé de tous les lieux du monde, ni un sud ni un nord, le voila tiré sur le bord de la route, devant ce monstre sans cœur que Citroën a jeté au peuple en criant « Un requin, un requin pour ta route », une merde de baleine échouée, un tas de tôle lourd comme un politique au restaurant. Il aurait du s’en douter, un franc symbolique, un franc symbolique qu’il n’avait même pas pris le temps de traduire en livre sterling, ça lui arrivait souvent, de ne pas prendre le temps, ce fameux live fast die young faisait ravage dans les tranchées de sa génération et sur les scènes de ses idoles. Au début, il pensait faire de l’auto-stop (l’écrivain prend ici la liberté de choisir, temps, époque et lois en cours dans le pays de notre récit, oui, il n’y avait aucune interdiction de faire de l’auto-stop), voyager de la côte à l’intérieur des terres, la road 66 de la France profonde, entre Le Havre et Dieppe, sans trop s’éloigner de la native Grande-Bretagne pour si il fallait rentrer à toute vitesse. Mick sentait encore la cire des bougies soufflées de ses 18 ans, dans ce Wandsworth de briques suantes de brumes, après avoir mangé une partie du pudding, il avait insisté à nouveau à ses parents de prendre les armes pour changer cette puta… de société, de râper Thatcher et de bruler Londres, comme d’habitude ses parents s’embrassèrent les yeux humides murmurant ce sempiternel « comme il grandit hein, notre teen« . Hirsute comme de naissance, il avait décidé de prendre son sac a dos et une Fender cadeau d’annif et aller chercher l’humanité et la philosophie parfaite, n’ayant pas de pennys pour l’Inde, il choisi le nord de France, on peut être rebelle, mais la patrie, c’est la patrie, et jusqu’au Havre on sent le souffle English sur la nuque, surement que l’esprit Celte sera une fraternité, die young, mais pas trop quand même. C’est a Harfleur qu’un des derniers hippies normand lui offrit de faire passer le relais du rêve baba cool au chaos punk, le relais était en fait cette vieille BX, dont les vitres électriques tombaient dans la porte et n’en remontaient jamais, et dont la courroie venait de se trancher en deux, le relais, ne se passerait pas bien, voici une des raisons du schisme de ces deux courants, Harfleur-Prétot-Vicquemare, un jour les livres d’histoires en parleront. Si notre jeune Mick avait déjà tout petit tendance à de grosses colères, la majorité l’avait rendu politiquement insupportable, et si la guitare lui servait souvent de thérapie zen, ce qui lui allait mieux était plutôt la méthode fer de docs par-ci par-là. Cela faisait donc dix minutes qu’il calmait sa soif de justice à coup de bottes sur les flancs de la machine, sous ce soleil terrible d’Août breton-normand (l’été du nord de France en comparaison avec l’été du sud de l’Angleterre est énorme), quand il comprit enfin qu’il devrait demander de l’aide a l’un des autochtone de Prétot-Vicquemare (Prétot-Vicquemariens??). Armé de son guide de conversation Anglo-frenchies il décida, colère en main, de traverser cette terrible frontière qu’est l’entrée du village, et de délier sa langue pour le bien de son pèlerinage spirituel. Une longée de maisons d’un seul étage aux jardins nus dormaient sous le joug du soleil, des caquetages de poulaillers peuplaient le vent sage, un motoculteur au loin servaient de symbole a une civilisation probable. Mick pensa frapper au hasard la première porte venue, mais ce n’est qu’à la quinzième que la porte s’ouvrit, sur le visage buriné d’une vieille d’au moins deux cents ans, Mick eut surement peur, ainsi comprit-il pourquoi tout d’un coup il s’était retrouvé le cul à terre. Quand la joviale momie ouvrit la bouche, non seulement trembla son dentier et la peau pendue de son menton, sinon les guiboles du jeune Michael Geoffrey Jones. Paralysé, il entra en transe ainsi que dans la maison.

-Bienvenue, jeune homme, vous venez pour la visite guidée? Pour vous trois francs, je me réjouis que la jeunesse s’intéresse à cet homme.

What, hein, quoi ? Pardon, je cherche une courroie pour mon moteur… Cou-roie, mo-teur, understand ? Merde, papa m’avais dit d’étudier, au lieu de gratter des cordes entre Kingston et La City. Madam, please, autre personne pour traduire here ici Hein Yes, no?

– Ah mais il faut payer jeune homme, il faut payer pour entrer, regardez mes doigts, trois, trois francs, des français qu’on m’a déjà collé des monnaies d’ailleurs. Allons, on va ne pas rester à la porte comme deux idiots non? Si vous voulez tout savoir sur monsieur André Raimbourg, il faut prendre un ticket, trois, trois francs, je vais insister sur le langage des signes, trois doigts, trois.

– André Raimbourg, ah ben voila, un type, les types de villages, y t’arrangent tout, à voir si la vieille me le présente, j’ai quelques sous dans la poche.

Mick paya l’entrée en s’oubliant déjà des bières prévues, la porte se referma dans son dos et des effluves d’Amsterdamer s’installèrent dans l’air. Il suivi l’ancienne le long de couloirs infinis, et il lui sembla que cette petite maison de village était en fait une branche de l’hexagone ou d’une autre organisation contre laquelle l’agent Bond aurait jadis lutté, ou peut être le repère caché d’un sage Hugh Heffner (un peu désuet et rance, certes). Ça et là, la dame montrait du doigt des photos en noir et blanc qu’il n’avait le temps d’enregistrer, photos de visages pris de fou-rires et d’une France colorée dans des après-guerre de sourires encore douloureux. Il y avait aussi des collections de vieilles affiches de ciné aux visages fermes et traits carrés, des figures qui se répétaient d’un papier usé a l’autre, des scènes symboliques d’amitiés, des grimaces fugaces prises au vol, et des titres presque illisibles, tant la vieille l’enlevé d’un pas de lièvres d’un couloir a l’autre. Le papier peint avait ces patterns des seventies conservateurs, marrons et jaunes sales qui paraissaient avoir bu toute la fumée des gitanes mais accompagné fort bien la descente a l’obscurité, qui se faisait à chaque pas plus palpable.

– Where’s Monsierrr André ma’am? Répétait-il a chaque reprise du souffle.

– On y arrive, on y arrive, tout urge a cet âge, il faut apprendre à savourer le temps.

Au début c’était comme le frôlement du vent, un filet simple de son qui parvenait juste a insister l’oreille, mais petit a petit, le son se forma chanson, petite ritournelle d’accordéon franchouillard, de fête foraine, de petit bals de soir aux lampions et vins, sans être déplaisant, cela avait tendance a l’énerver, il avait une idée naissante de ce que devait être la musique que la musique ne comprenait pas encore. Cette impression de lavage de cerveau sonore fortifia sans doute cette idée et lui en donnerait pas mal d’autre. Un instant, un laps de temps trop bref pour être mesuré, ses docs marquèrent un pas de ballerine. L’air se fit froid, petit a petit, comme la différence de température entre une chambre et une cave, quand après une scène érotique il faut descendre car les plombs ont sauté, ors donc, peu agréable. A certains moments, l’impression d’être Dante effleura Mick, mais le fait que la vieillarde n’ait en aucun moment arrêté de parler, sans aucun besoin de respirer lui faisait avouer que l’enfer était chose jolie a côté des tirades de madame. Il se promit d’ailleurs d’être anti-vieille, anti-papier-peint, anti-photos et anti-accordéon, si la BX voulait bien l’emporter, ah, et anti-cave après l’amour. Le énième coin tournée, et tomba le silence comme un couperet. La vieille s’affaissa, usée plus que fatiguée, sur un paillasson qui permit enfin à Mick de voir une porte. Alors que la chère dame âgée entrée dans une inertie incompréhensible, Mick décida de l’enjamber (la vision d’une nuée de piranhas lui mordillant l’entre-jambe le préoccupa un instant) et de forcer la serrure, il était temps de sortir de ce dédale de collectionneur terne.

Derrière la porte, il n’y avait pas de sortie.

Sur le sol de ciment inondé de la lumière d’une porte-fenêtre, trainaient quelques graines rondes et grises, l’élan que Mick avait pris en passant la porte, avait failli lui en faire écraser quelques unes. Si il y eut ici des meubles, la poussière les aura caché, les murs étaient enfin nus, les papiers peints morts dans une tonalité verte n’étaient plus qu’un détail. Mick se sentit comme dans un nowhere land, et pour une fois, il aurait aimé avoir une règle, une loi, un appuie. Au fond, dans le champ du rayon de lumière, un énorme fauteuil tachait de noir le paysage, c’est de lui que naquit une chansonnette, naïve, innocente, d’une vois simple de chanteur faible…

Un oranger sur le sol irlandais,
On ne le verra jamais.
Un jour de neige embaumé de lilas,
Jamais on ne le verra.
Qu’est ce que ça peut faire?
Qu’est ce que ça peut faire?
Toi, mon enfant, tu es là
!

… N’aie crainte, et ne t’inquiètes surtout pas pour les graines, cela fait bien des décades que je n’essaye plus de planter des orangers, celles-ci sont californiennes, et mortes, sèches, inutiles, parfois je joue aux billes avec elles, tu sais, ces bêtises de vieillard qui ne reconnait son usure. La voix se leva et pris forme d’homme, un homme courbé, fatigué, mais au visage jovial, agréable, ce visage typique d’éternel meilleur amis d’on ne sait qui, de sourire de bar de village, Fernet Branca, et joues rouges. Mick Jones, jeune Michael Geoffrey Jones, quelle joie de ce sang neuf, bouillant, dans ces parages, dernièrement, on ne me voit même plus pour Noël. Cela, me flétrit, cela me flétrit mortellement. Vois-tu, jeune rebelle, si je ne reçois pas un peu de sang frais, je fais raisin sec, et le raisin sec, ça ne pousse ni ici, ni en Irlande. Oh, mais je parle je parle, laisse-moi me présenter, mon nom est André Raimbourg, mais on m’a nommé Bourvil, je fus acteur avant de partir, mais dans cette vie ou la suivante, mon nom reste Bourvil, cela te plait, c’est un nom qui porte a rire, je le hais comme je l’aime, c’est un nom qui sent la vieille France de duffel-coat gris et béret, le nom post-mortem est le même, et ni moi, j’ai changé, on m’a prêté une enveloppe, je suis encore si vivant par ici, ma gueule aux télévisions d’étés fades, ma tronche pourtant si banalement humaine, on m’a prêté une façade que j’habite pour une éternité, après, que meure le monde. Et puis on m’a posé là, là où tout a commencé, dans la maison de mon arrière grand-mère, que tu viens de connaitre, la petite boutique de lingerie bouscule encore mes vestiges d’adolescent, comme alors, comme alors. Ici Paris, Ici Prétot-Vicquemare, peut être Graulhet, partout, je me suis surement fait de partout, j’ai tellement bourlingué, je m’en fous un peu, la France partout est atrocement française, les marseillais sont des pierres toutes aussi grises que les dolmens de Carnac, le granit du Sidobre, ma France est si joliment rance, ancrée dans ses pontons de mers étrangères (la France n’a jamais de mers ni océans à elle, que des outre-mer). Elle reste belle dans son cocon de nostalgie, elle n’avance jamais, elle laisse couler, et un peuple qui se laisse couler se noies, certes, mais quel émoi, quel héroïsme, ma France était belle comme perdante, et n’a jamais perdu, sinon de grands amours et des baisers volés, oh, j’y étais si bien, sur ce peuple fleuve capable de mourir en chantant et de renaitre en rêvant. Alors me voila, Bourvil, tel que ma France, je renais sans cesse en rêvant, et si je ne rêve pas, je vole des rêves, oui, sans doute, une sorte de vampire gentil qui plairait énormément à cette génération neuve, mais crois-moi, je ne plais plus, et mon éternité s’achève. Dis-moi, petiot, pourquoi partir si vite de ta maison, pourquoi fuir cette civilisation, que changera ta guitare?

Le monde, il faut le changer ce monde, je ne sais pas moi, je n’ai pas envie de balles, alors les mots, je crois que le son peut détruire les murs.

Philosophie banale, les trompettes de Jéricho, tu vois, même les punks utilisent le symbolisme qu’ils renient, non, les mots ont besoin d’une langue pour être compris, j’ai passé tant de temps ici enfermé que j’ai eu le temps d’apprendre, je ne suis plus l’idiot du village, le naïf, l’innocent, je suis celui qui sait, je suis celui qui vit, et je te laisserai partir, je ne suis hélas, aucun diable, je suis Bourvil, celui qui chante les bals perdus, le timide à l’écran, mais je te laisserai aussi ce cadeau, le vrai sens de la lutte, le véritable trésor de la vie. Le graal du pouvoir, n’est que ce sourire qui m’habite vie après vie, et la bonté qui coule de lui comme un torrent. Va, jeune Mick, je me nourrirai d’un autre pour ne pas être un de ces jours, un raisin sec sur un sol de ciment français, je suis sur que tu triompheras, ton sang est brulant, ton esprit lueur, va, retourne au roastbeef, à ta bière, à tes chansons, je te suivrai

L’homme se rassit alors en se laissant tomber, la lumière de la fenêtre se fit plus intense, jusqu’à éblouir, la pièce verte disparue alors que s’entendait une chansonnette s’éloigner…

On peut vivre sans richesse 
Presque sans le sou
 
Des seigneurs et des princesses
 

Y’en a plus beaucoup 
Mais vivre sans tendresse
 
On ne le pourrait pas
Non, non, non, non
On ne le pourrait pas

… Quand Mick ouvrit les yeux, il était assis au volant de sa ronronnante BX, un panneau rayé de rouge montrait la sortie de Prètot-Vicquemare.

Putain de Hippie, il a trop fumé dans sa voiture.


© Guillaume Mazel


 

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