Pays Gris.

j'habite un pays gris comme on visite la nuit nos envies schizophrènes j’habite un arbre mort comme on revient toujours à nos corps pleins de haine l'hiver en équilibre juste au bout du chemin là où plus rien ne tient pas même ce chien de doute j’habite une anarchie où nos cœurs dérangés s’accrochent à leurs désordres j’habite une âme déchue comme on espère encore revoir le jour à bord un jour à l’agonie au détour d’une envie j’y ai laissé ta peau et des lambeaux de foi j’habite un pays froid où l’on rencontre souvent nos émois réchauffés j’habite une ville soumise où nos regrets défaits font la manche au tournant c’est là en plein été quand je reprends la route juste avant le reflux que tu t’éclipses inouïe j’habite une maison vide comme on évite sagement nos ébats évidents j’habite un bois conquis par des amants surpris de leurs serments reclus la nuit en autarcie au milieu des charniers les os usés broyés de nos mères mortes cramées j’habite une solitude comme tu aimes comme je hais par peur par habitude j’habite une certitude comme on renonce souvent au goût du jour qui vient l’hiver en équilibre sur le fil éclectique de nos envies d’ailleurs de feu de mer d’éther Pour un instant encore J’évite de faire le tri Je m’attache à un rien Pour quelques heures à peine Tu t’agrippes à mes cris Je m’accroche à tes reins J’habite un pays gris J’habite un pays gris J’habite un pays gris J’habite un pays gris J’habite un pays gris
C’est l’heure où nos humeurs brisées se toisent du haut de leur mémoire, là, au bout de la nuit poisseuse, scories d’un chassé-croisé d’ombres enivrées, étrange ballet de fantômes ressuscités d’entre les mères, là, derrière la haie touffue, les émois barbelés et la battue des chairs trébuchantes, là au bord de la route grise, au tournant de la courbe écrasée par le souvenir de ton chant joyeux, le rire nocturne des enfants terribles, la ronde insolente des âme gâtées, là, dans le bocage hardi, au carrefour de nos corps désaccordés, l’haleine givrée des remords ensevelis, la douceur du chahut révolu et le pas fluctuant des absents avertis de leur chute précoce, là, au bout de la nuit opaque, au détour du chemin embourbé, la lumière invisible du granit, son reflet fléchissant, pâle trouée, début d’aveux, il est trop tard, le noir se tait, il ne dira plus rien, il a pourtant tout vu, les antiques cités enruinées, les guerres lisses et les pères fondateurs, mais aujourd’hui, repu, il abandonne l’ennui à ses dernières volontés, il lègue son trône à l’anthracite, il nous laisse sur le flanc, prêtant à confusion, il nous laisse titubants, enclenchés, poncés jusqu’à l’os. Il nous laisse au plus mauvais moment. Juste avant l’aube et le retour des nuances. Il nous laisse. Encerclés. Évanouis. Dégrisés.
© Matthieu Dufour
Pays Gris est le premier volume d’une série de recueils mêlant mots et photos. Mis en page par Pascal Blua, chaque volume sera accompagné d’un thème musical, ici composé par Rémi Parson.
Pays Gris c’est un pays imaginaire qui ressemble au bocage normand dans le brouillard. Pays Gris c’est une ligne de front sentimentale où se livrent des guerres intestines sans fin. Pays Gris c’est un refuge confus et mouvant, celui des amoureux en lutte permanente. Pays gris ce sont ces arbres et ces ciels comme des peintures à la limite de la rupture d’où émerge parfois une pâle trouée lumineuse. Pays Gris c’est la patrie du doute. Pays Gris c’est chez moi. J’habite un Pays Gris.






