Vetchinsky Settings – Underneath The Stars, Still Waiting.


Quand vous arrivez à Tokyo tout semble familier, connu. Malgré l’évidente différence de continent, il y a tous ces repères habituels, ces silhouettes rassurantes. Il y a des métros et des carrefours, des parcs et des arbres, des restaurants et des Starbucks, des taxis et des piétons, des grandes avenues et des ruelles désertes, des gens qui font des courses dans des magasins leur portable à la main. Ce n’est qu’après quelques heures, quelques jours, quelques semaines, en lâchant prise, en se laissant habiter par la ville que, sous les apparences de la similitude, tout se révèle subtilement différent, intensément singulier.

En musique c’est souvent pareil. Une chanson vous en rappelle une autre. Une mélodie vous ramène dans le passé. Vous posez un nouveau disque sur la platine et vous avez l’impression d’être en terrain connu. Comme un goût de déjà-entendu. Cette mélancolie que vous aimez tant est bien là, portée par des habitués de l’indépendance pop, des experts en sentiments incertains et en espérances désenchantées. Vous êtes immédiatement sous le charme de ces compositions comme des symphonies miniatures, minimales et pourtant immenses, si pleines de contrastes, de doutes assumés et de joies éphémères. Et puis tout bascule en un instant. Sans que vous en rendiez vraiment compte. Un choc. Stupeur et tremblements. Tout se trouble, votre tête tourne légèrement, votre coeur s’emballe, vous éprouvez le besoin pressant de vous assoir, de vous poser.

Un simple bon disque, un disque juste beau vient de se transformer en monument intime dédié à notre seule émotion, en sanctuaire de nos projets abandonnés en cours route, en hymne à nos amours trébuchantes, passées ou futures.

Un disque se transforme en leçon de vie. Il devient le son de la vie. Le son d’une vie.

Quand est-ce que ce doux séisme se produit ? Comment cette faille se forme-t-elle et nous aspire ? Pourquoi là et maintenant ? Quel infime accident est à l’origine de cette beauté soudaine et pleine, lumineuse et apaisante ? Sont-ce les premières notes de piano de Mirror ? Est-ce la voix à bout de souffle de James Hackett quand il parvient quand même à prononcer « fool » comme dans un ultime appel au secours ? Ou alors la bouffée de bonheur qui jaillit au cœur de cette merveille qu’est Accidental Beauty ?

Je ne sais pas et c’est surement mieux ainsi. Préserver une forme de naïveté, lutter contre la lassitude, se répéter que la musique n’est pas et ne sera jamais un bien de consommation comme les autres, une succession de prises de guerre que l’on accumulerait comme autant de preuves de notre grandeur fantasmée, de notre hypothétique puissance. Essayer de rester pur et perméable à l’émotion la plus primaire, qu’elle soit douce et chuchotée, ou intense et proclamée. Accepter de se laisser surprendre, cueillir au détour d’un dernier couplet, d’un dernier mot, d’un dernier murmure. Être présent, vraiment, totalement, laisser les accords circuler en nous comme un second souffle, une respiration parallèle, secrète et magique.

Alors bien sûr vous me direz que Mark Tramner et James Hackett aka Vetchinsky Settings ont un sacré pedigree (the Orchids, The Mongolfier Brothers, GNAC, …). Et vous aurez raison. Mais ici, le tout, ce sublime Underneath The Stars, Still Waiting dépasse largement la somme des parties et des talents. Deux disques, quatre faces (Birth, Desire, Grief, Death), une alchimie totale. Des chansons toutes plus belles et envoutantes que les autres, et cette voix ébréchée qui s’accroche aux accords comme on se raccroche à la vie, jour après jour.

Il est question des origines, de la naissance, des bruits de l’enfance, d’un départ, de vie à la dure, de ces blessures qui font grandir. Il est évidemment question d’envie, d’amour et de haine, de désir et de ressentiments. Il est simplement question de vie et de mort. D’eux, de nous, de vous et de tous ces miroirs qui ne renvoient pas toujours ce que l’on attend d’eux, qui ne reflètent pas toute la vérité.

Mais il est aussi question de lumière et de lendemains, d’émotions, de tenir debout et de lutter avec les moyens du bord.

Jusqu’au dernier souffle.

Ashes to ashes.

Dust to dust.

Life to light.

Alors pas question de passer à côté de ces étincelles d’espoir, de ces parcelles de bonté partagée, de la générosité d’une musique à la grâce humble et réconfortante.

Mark, James : thank you so much.

Ce disque est tellement précieux quand tout autour tout chancelle…

Je sais maintenant que sa beauté ne me quittera plus jamais.


© Matthieu Dufour


Vetchinsky Settings – Underneath The Stars, Still Waiting.

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