Actu – Coup de coeur – Jambinai (Trans 2014).

Jambinai-Picture-1Un pub avant 16 heures c’est glauque. Alors à imaginez le matin. Ça pue l’amertume, la gueule de bois, la bière renversée, les regrets, la vaisselle sale et le vinaigre. Un peu fâché, on arrive même à percevoir encore des odeurs de tabac froid incrusté dans des murs qui n’ont pourtant pas croisé de clopes depuis des années. Drôle d’endroit pour une rencontre. Drôle de décor pour découvrir le programme des Trans 2014 et les coups de cœur de Jean-Louis Brossard, boss artistique et défricheur enthousiaste des célèbres Rencontres Trans Musicales de Rennes. Mais peu importe le cadre finalement, car dans cette ambiance de lendemain de fête, il n’y a pas de round d’observation : un café à moitié avalé, à peine le temps de s’échauffer les oreilles en douceur avec Jeanne Added et un peu plus en rudesse avec le groupe français Grand Blanc, le décor devient très vite secondaire balayé par une déflagration sonique d’un genre inconnu qui fait place nette.

Sur l’écran des ombres en noir et blanc agitées, comme électrocutées, semblent possédées par les sons de ces cordes syncopées qui jaillissent des baffles en rafale, en désordre, en vrac, suivies de près par une grosse et furieuse décharge électrique. Des scies déchainées et audiblement en totale liberté attaquent notre zone de confort et mon cerveau encore embrumé. Sous le choc inattendu, mes oreilles d’abord tentées par la fuite ne peuvent résister à l’envoutement de ces furies qui volent en escadrille dans la pièce larguant leurs sons lourds comme autant de tapis de bombes incendiaires. Averses de napalm. Si les cordes de l’haegeum tentent de nous la jouer sensible, genre violon déchirant, c’est pour mieux nous retourner, nous faire baisser la garde : l’écran est alors envahi de cellules cancéreuses rouge sang se reproduisant à la vitesse de la lumière, les esprits alimentés par leur propre adrénaline, hantés par l’implacable vague sonore qui monte tel un tsunami dévastateur, se déchainent pour l’apothéose, kaléidoscope bruitiste diabolique, le son écorché du piri s’envole dans un ciel moucheté de sang et de neige mêlés, batailles ultimes, combat corps à corps sur les cadavres des chevaux amputés, croisés contre infidèles, les armures sont fendues de toute part, les oreilles tremblent, il n’y a plus qu’un magma de notes démoniaques et ensorcelantes qui montent tendues vers le ciel bas et lourd d’un sombre après-midi d’hiver. Puis c’est la fin. Tu n’as rien vu à Hiroshima. Brutale. Rien. Réveil. J’ai tout vu. Silence. J’en suis sûre. Silence. Vide sidéral. Gouffre. Ce n’est pas une baffe, ni un pain ou une grosse claque. C’est une bombe à fragmentation. Des éclats constellent les murs suintant du pub soudain réveillé. Mes tympans hagards, hébétés, victimes d’un syndrome de Stockholm aggravé en redemandent. Vite.

 

Aux antipodes de la K-Pop habituellement associée à ce pays, ou même d’un quelconque genre actuel, le groupe sud-coréen compose une musique futuriste, tour à tour bruitiste, apocalyptique, ou planante, et systématiquement emballante à partir d’un mélange d’instruments traditionnels tels que l’haegeum (cordes), le piri (instrument à anche) ou encore le geomungo (sorte de grande cithare) et d’outils plus plus « classiques » (guitares électrique, machines, etc.). Une musique habitée, possédée, fascinante, une expérience auditive mais aussi corporelle, physique, mentale. Des montagnes russes soniques. Une musique qui sait aussi ralentir la cadence pour des voyages aux confins du jazz, d’un post-rock et d’une électro en apesanteur et narcotique. Une musique qui doit logiquement trouver sa plénitude sur scène dans des performances que l’on attend explosives et intense. Un de nos gros coups de cœur de la programmation 2014.

 

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