Chronique – L’Ordre d’Héloïse – Le chaos de l’histoire.
J’étais en train de déprimer tranquillement à la campagne entre deux gueuletons de fin d’année et un déballage hystérique de trop de cadeaux quand Jean Thooris, chanteur du groupe Summer et excellent chroniqueur musical par ailleurs eut la bonne idée d’attirer mon attention sur ce groupe dont je n’avais jamais entendu parler. L’Ordre d’Héloïse. Jean savait ce qu’il faisait. Coup de foudre immédiat pour cet univers sombre et froid qui me rappela aussitôt bien des choses et notamment mes premières amours cold wave (Cure évidemment) mais dégageait aussi une aura singulièrement personnelle. Le choix de la langue française par exemple, une forme de bravade, de menton levé haut à la face de ce chaos, une franche honnêteté, celle de ne pas dissimuler ces noires pensées derrière un rideau de mots faciles et étrangers.
Et cette musique qui vient de loin mais ne se contente pas de rejouer les guitares et les machines d’il y a trente ans. Elle est là entière, nue, offerte car chez L’Ordre d’Héloïse, on ne triche pas. Leur vérité est aussi un peu la notre. Le constat est toujours le même : ça va mal. Même le noir s’est assombri… Le titre de l’album n’est évidemment pas innocent, pas plus que ceux des 14 morceaux qui essaiment tout au long de ce tunnel austère et froid leurs empreintes figées dans le givre et leurs morsures gercées (Dernier espoir, La horde, Le froid, Le vertige, Extinction des cieux..).
Période idéale pour apprécier ce beau disque, fier et droit (Noël et l’abondance d’odeurs et d’excès, de déchets et de gens, de paroles et de couleurs), décor idéal pour se laisser emporter par le spleen adulte et courageux de cette musique hypnotique (des champs à perte de vue, quelques bois sombres, la terre retournée, quelques clochers d’église, des ombres étranges et mouvantes plein la campagne et la nuit qui tombe vite), Le chaos de l’histoire est devenu (et en boucle) la BO parfaite de mes chaos personnels et est venue paradoxalement réchauffer cette période glaciaire.
Le gouffre est là devant nous, parfois même sous nos pas mais on continue à se relever, à avancer : la lucidité n’est pas le renoncement, la clairvoyance n’est pas l’abandon. Il faut même plutôt du cran pour toiser le chaos dans les yeux et continuer d’y croire. Croire en la nuit. Car en plein cœur de la nuit il y ces artistes ultimes et sincères qui mettent leurs tripes en musique, nous servent leurs vies en chanson et finalement distillent une lumière bien particulière quand les cieux se couvrent de gris. Une trouée dans nos sombres hivers. Une éclaircie malgré les ravages du temps. Ce disque est une clairière un soir d’hiver et de pleine lune, au milieu de la plus sombre, de la plus dense des forêts, une clairière où les branches givrées des arbres dénudés résistent encore aux vents contraires. Une clairière où malgré tout il fait bon venir se retrouver face à soi-même. Pour mieux affronter ses démons. Pour mieux repartir au combat. Avec les moyens du bord. Merci pour ce disque, un OVNI dans le paysage musical du moment, mais un OVNI tellement actuel.
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