Chronique – Pain-Noir.
Alors bien sûr j’ai déjà écrit sur ce type, j’ai probablement déjà dit tout le bien que je pouvais de ce projet, (lire ici : Chronique Pain-Noir). Mais je ne me voyais pas passer sous silence la sortie de l’album de Pain-Noir chez Tomboy Lab. On ne va pas se mentir, je ne me suis jamais remis de la découverte accidentelle de ces 3 titres merveilleux déposés par l’artiste sur Bandcamp (lire ici : Déclaration d’amour à Pain-Noir), de ces 3 joyaux qui laissaient présager des aubes remplies de promesses éclairées et des veillées pleines d’espoirs ténus. La Retenue, cette extraordinaire chanson est entrée dans mon Panthéon personnel à la première écoute, et j’ai su, dès De l’île, que les voyages immobiles et singuliers de Pain-Noir, portés par cette voix unique, ne me quitteraient plus. Une évidence, douce et bienveillante, ils feraient partie de ma vie, de mes routines rassurantes, ils viendraient rejoindre ces gestes que l’on reproduit pour se situer, se poser, se retrouver. Avant de repartir bien décidé à se perdre une nouvelle fois à la poursuite d’un graal hypothétique.
Chacun remplira les rêveries pop-folk de Pain-Noir de ses propres obsessions, au gré de ses humeurs, chacun peuplera ces villages engloutis de ses deuils inachevés, chacun franchira ces vallées cachées ou ces mers invisibles à la découverte de son ailleurs fantasmé, chacun partira à la rencontre de ses propres fantômes, chacun sera libre d’imaginer son continent idéal, là, au loin derrière la ligne d’horizon, chacun habillera ses quêtes, chacun trouvera sa route aux différents carrefours de sa vie, larguant des amarres imaginaires au lever du jour et rentrant sagement au port le soir pour jeter l’ancre dans ces eaux troubles mais familières. Mais nous nous retrouverons tous dans une communion sincère et forte autour de ces mélodies et de ces histoires éternelles.
Chez Pain-Noir tout est sobre mais intense et lyrique, nuancé mais évocateur, ici pas de tape-à-l’œil, de surenchère, les mélodies sont comme une brise légère mais déterminée qui soulève délicatement un voile blanc révélant une chambre plongée dans la lumineuse obscurité d’un été plombé et fait voler dans l’air quelques herbes folles arrachées à la terre asséchée dans un ballet délicat.
A l’écoute de Pain-Noir nous sommes tous cet enfant perché tout en haut d’un chêne dans une cabane imaginaire, scrutant la campagne infinie depuis ce nid-de-pie improbable, nous sommes tous cet enfant planqué au milieu d’un tunnel de ronces et de broussailles, ou enfermé dans la chambre d’ennui de cette grande maison de vacances, seul avec ses livres et sa puissance créatrice, imaginant un monde inconnu, des vallées abandonnées, les plus sombres des forêts, des aventures intimes, des pérégrinations au soleil couchant, mélangeant avec grâce et sans retenue les époques, les genres et les gens pour ne retenir qu’une seule vision : celle de l’homme face à la nature, face au temps qui passe, la chaleur parfois partagée de la famille rassemblée, l’homme et sa force potentielle, ses faiblesses quotidiennes.
Cet album est une ode à une forme de résistance, celle de l’imagination, une résistance douce et pacifique, celle qui permet de jeter un autre regard sur la vie et les gens. Une façon de ne pas renoncer à son âme d’enfant quand tant d’autres pleurent la perte de leurs rêves fracassés sur le mur de la réalité. Une saudade qui nous chuchote dans le creux de l’oreille que le mieux est à venir.
Successions d’images sépia aux mille nuances, mais formant un tout cohérent, ce disque confirme avec éclat et brio la place singulière de ce songwriter singulier dans le paysage musical français. Surtout, et tout simplement, il faut se laisser habiter et envahir sans résister par cette musique et ces chansons à la beauté unique et au raffinement humble et précis. Le fruit du travail d’un artisan qui prend son temps, suit le rythme des saisons, sans se précipiter.
» J’ai une nuit rêvé de deux mains sur lesquelles les mots Pain Noir étaient tatouées. Elles apparaissaient menaçantes et pourtant familières. Au matin ces deux mots étaient toujours là. J’ai alors su qu’il était temps pour autre chose. » François-Régis Croisier
La dernière fois je concluais ma chronique ainsi : « Pain-Noir est né d’un rêve, et d’une certaine façon, l’écouter en est un autre. Chaque fois renouvelé. Chaque fois différent. ».
Aujourd’hui, je n’en change pas un mot.
© Matthieu Dufour
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