Chronique – Arlt – Deableries.

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A chaque fois la même prétention. À chaque fois la même impasse. Avec une telle musique, une telle singularité, de telles aspérités, parler des dernières Deableries d’Arlt devrait être une simple formalité. Une pincée de sorcellerie, le magnétisme parfois dérangeant d’Eloïse Decazes, une goutte de chamanisme, le charisme troublant de Sing Sing, quelques références aux contes, à nos terroirs, au Moyen-Âge, au folk américain, au minimalisme et le tour sera joué. Mais le trouble revient toujours, une forme de paralysie verbale, une incapacité profonde à rendre toute la richesse, la douce folie et la sensuelle étrangeté de leur musique. Le tour c’est Arlt qui le maitrise. Je me demande souvent ce qu’ont bien pu penser les premiers à avoir reçu le choc des débuts cubistes de Picasso. La capacité de ce type à s’affranchir de la perfection classique qu’il était parvenu à maitriser pour partir à l’aventure de l’inconnu. Quelle fut leur réaction en ressentant une émotion violente mais en ne réussissant pas à l’exprimer. Les mots vains. Ceux d’Arlt sont loin de l’être. Poétique et crue, absconse et percutante, drôle et lucide, mystique et païenne, leur langue est « en français » mais ne ressemble en rien à la chanson d’ici. Ici les totems sont entaillés, on en fait des cure-dents, des attrape-rêves, des crucifix, des lance-pierres, les icônes sont déconstruites, défigurées. Et quand ils parlent de cul et de mort sans aucun tabou il s’en dégage pourtant une poésie incroyable. Mettant à mal les règles du soi-disant bon goût musical, les habitudes syntaxiques, ils flinguent de façon exemplaire la routine, la paresse, tels des Géo Trouvetou de la chanson. Car malgré tout c’est bien de cela dont il s’agit : de chansons, et de sacrément bonnes chansons. Derrière les apparences de la bancalité et du désordre de la brocante, ça tangue, ça valse, ça frôle le précipice, le vide, ça donne le tournis, on voit des étoiles, des trous noirs mais ça tient debout. Miracle ou magie noire, peu importe. C’est la force éternelle et contagieuse de cette chanson qui voyage à travers l’espace et le temps. Des morceaux façon pompier-pyromane, qui allument des mèches avant d’éteindre des incendies, des ritournelles qui apaisent ou irritent, envoutent et saisissent mais ne laissent jamais indifférent. Nue comme la main (« le soleil fait des pompes sur ta nuque »), Le diable (hypnotique « Je pensais que tu avais mis ta plus belle robe pour moi, mais alors qui a déchiré ta robe »), L’enterrement (oh merveille « rappelle moi seulement de qui est l’enterrement »), Le cancer (« que le cancer qui te mange le cul »), … autant de preuves magistrales de leur inventivité. Non seulement ils cherchent, mais ils trouvent. C’est le diable surement. Surement. La beauté du diable.

Matthieu Dufour

PS : ne confiez pas votre grille-pain en panne ou votre cafetière défectueuse à Arlt si votre petit-déjeuner est sacré, vous risquez de vous retrouver avec une machine à labourer les nuages ou un appareil à tatouer les rêves sur les foins.


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