Chronique – Arman Méliès – Vertigone.
« Notre ombre n’éteint pas le feu »
Paul Éluard.
Oublier ses reflexes craintifs, ignorer son vertige, négliger de mettre sa ceinture, accepter de lâcher prise, narguer le diable, s’inviter à sa table pour lui rendre nos larmes, se laisser aspirer par un typhon sonique et incandescent : bienvenue dans Vertigone, la cavalcade brûlante et épique d’Arman Méliès. Celui-là même qui écrivait : « Quitter le plancher des vaches et oublier pour un instant les atermoiements quotidiens chers à tout un pan de la sacro-sainte nouvelle chanson française me semble nécessaire pour faire d’une chanson autre chose qu’une simple et simpliste version orchestrée du journal intime ».
Passer à l’acte. Se laisser guider par cette voix unique et puissante, cette voix vertigineuse, lâchée, qui file à tombeau ouvert, cette voix qui vous emporte comme une coulée de lave dans un grand huit mélodique étourdissant. Sans violence, sans, effets de manche, juste lâcher Les chevaux du vent fou à l’assaut de ces Everest imaginaires. Prendre le temps de flâner avant de reprendre l’ascension. S’extirper de la médiocrité ambiante, arrêter de se plaindre, aller plus haut pour traquer l’inattendu, le beau. Arman Méliès tournoie, s’amuse sans calculer au-dessus des cimes d’un pop rock trop souvent standardisé, prévisible, sans pour autant céder à l’ivresse des sommets tel un homme libre. S’abandonner à une mélancolie euphorisante, l’excitation et l’envie pour moteurs.
Dieu que notre vie est belle quand à l’excès elle nous rappelle. Dieu que notre amour est beau quand il s’ingénie à vivre si haut.
Ils ne sont finalement pas si nombreux les artistes vraiment libres. Pour un Dominique A qui file en équilibre sur le mur imaginaire et étroit qui sépare la chanson indie pour spécialiste de la variété dite « populaire » et accessible au plus grand nombre, pour un Jean-Louis Murat creusant son sillon sans se soucier des autres, combien d’imitateurs, de réacs de la musique qui campent sur leur positions établies, refusant l’obstacle du renouvellement par peur de se planter au risque d’une tétraplégie artistique. Pour cela, il faut vouloir aller de l’avant, faire table rase de pans entiers de son passé, se remettre en question. Préférer les champs incertains au confort bien douillet de la routine. Qui par exemple peut aujourd’hui se payer le luxe d’irradier ses chansons des rayons d’un saxophone en roue libre sans être ridicule ? Arman Méliès est bien de cette trempe, ces artistes qui pensent que ce n’est parce que tout va mal qu’il faut renoncer. Résistant à la tentation d’une autofiction creuse et neurasthénique, d’un immobilisme mortifère, il fait le pari d’une poésie personnelle quitte à brûler quelques plumes de ses ailes à la chaleur de l’obscur. Écoutant son intuition, il mise sur une musique débridée sur laquelle sa voix fait des merveilles. Refusant de capitaliser sur ses investissements précédents, de thésauriser, il s’offre une chevauchée électrique, solaire et volcanique. Impressionnant et enthousiasmant.
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