Retrouvailles et haute fidélité : l’année 2015 vue par Greg Bod (4/7).
« Look up here, I’m in heaven
I’ve got scars that can’t be seen
I’ve got drama, can’t be stolen
Everybody knows me now »
Une année s’achève quand les résolutions prennent du plomb dans l’aile, quand les résolutions s’endeuillent.
Quand les » je ferai différemment » se transforment en « peut-être que ».
Quand le gui n’a même pas encore fané, quand le sapin n’a pas encore fini sa vie sur un bord de trottoir entre le trivial des containers à déchets et la tristesse des cadeaux avariés ou déjà cassés.
2015 fut l’année des retrouvailles… Retrouvailles avec des souvenirs, avec des amis oubliés ou perdus de vue.
Des rencontres par mégarde comme des coups disgracieux, comme des confrontations.
Vieux démons et sombres rancœurs. On aimerait en rire si ce n’était si glaçant.
On aimerait en pleurer si on n’était pas aussi sec. Quand on devient trop étanche à soi, quand on perd la soif des larmes, plus que jamais, il faut revenir à son quant à soi, à son nécessaire égoïsme, à la vision partielle, ingrate et occluse de ce que nous sommes.
Plus que jamais, nous avons besoin des regards qui nous ouvrent encore plus à nous, qui nous libèrent des autres, qui nous livrent aux autres.
2015 fut le rendez-vous des fidélités.
Fidèle, je le suis depuis 1993, depuis ces premières promesses de « pouvoir vivre dans l’espérance », de se plonger dans des « Lullaby » qui endormirait la plus insomniaque de nos angoisses.
Depuis 1993, je suis fidèle à Alan Sparhawk et Mimi Parker de Low . Fidèle à la langueur électrique, fidèle au « chemin invisible » vers ces débris consumés et « perdus dans le feu ».
Où se côtoient excellence et discrétion, chaleur et acuité.
La force de l’être humain qui l’emporte sur les personnages qui l’habite
De fidélité avec Filip Chrétien, il est aussi question. D’humanité avec Filip Chrétien, il est aussi question.
2015, c’est les retrouvailles avec le « Boy Next Door », le copain d’en face, le bon copain de Rennes, le même gars qui nous avait capté avec ses mots simples avec le sublime « Dia A Dia » l’année dernière qui revient avec « Les Traces ». Mêmes impressions d’une langue quotidienne , même poésie des mots simples, même sublimation des jours du banal.
Ce qui frappe avec « Les Traces », c’est l’ouverture de ce projet jusqu’ici resserré autour de Filip et de son frère Nicolas, à de nouveaux invités comme l’extension d’un lien.
Les traces, il en fait un cadeau de partage, partage de lui avec nous, partage d’instants avec les artistes qui l’accompagnent sur le disque. D’Orso Jesenska dont il faut rappeler la beauté irradiante de son second album, Effacer la mer à la trop discrète Lou au travail sur un nouvel album ou encore Chafik Mohammedi de Lighthouse mais aussi le lumineux Jean-Louis Bergère. Chez Filip Chretien, c’est une auberge espagnole où le mot d’ordre est la sensibilité. Car Filip Chretien est un peu cette facette de nous, cette voix rassurante, confiante et prudente
Là où d’autres préféreront nous confronter à la frontalité de nos paroxysmes, de nos colères et de nos rages pas ravalées, d’autres pratiquent l’art du pointillisme, pas un patchwork multicolore. Non, plutôt la beauté diaphane de mots et de jeu dans le non-dit. Un pointillisme où détails semblent foisonner et se diluer dans une impression car la volonté est d’imprimer nos veines, ces petites lignes de fuite qui traversent nos corps assoupis. Un pointillisme pour laisser des traces en nous.
Là où d’autres préféreront nous illuminer de leur lyrisme jamais loin de l’emphase, d’autres cherchent la vérité dans le murmure, dans les mots qui lassent les ombres. Car ici la démonstration se fait dans la suggestion, sans tapage. C’est beau comme le temps qui passe, comme le temps qui voûte le cuir, comme le temps qui nous saisit.
Bêtement humain, juste humain…
Précieux comme un frisson, précieux comme l’émotion gracile face à l’Adagietto de Mahler… Beau comme une mort douce dans les traces que l’on laisse entre écume et sable.
Filip Chretien, comme je le disais en d’autres temps, en d’autres lieux, c’est comme on dit en anglais, le Boy next door, le bon copain d’à côté. Le mec généreux, vrai, aux valeurs tenues. Le mec regardant en arrière mais toujours tendre avec ses erreurs, jamais avare d’indulgence.
Les traces, il nous en fait cadeau quelque part, ne se défaussant pas dans des faux semblants, acceptant pleinement ses influences (Daniel Darc, Miossec, Jean-Louis Murat) mais en y laissant ces hasards, ces accidents qui le font lui, seul et unique.
Bêtement humain , juste humain…
Une des déclinaisons, une des infimes variations de ce que c’est que d’être humain, de se confronter aux autres, d’entrer en résonance avec le monde. Etre sensible, multitude éparse d’une identité. Car un être est entier et plein, facettes à contre-jour, car la monochromie ne peut être complète, car il nous faut des chasseurs d’occasions comme disait Dubuffet. Ces chasseurs d’occasion glissent dans ces fêlures entre les mots, qu’ils s’appellent Pascal Bouaziz, Arman Méliès ou Filip Chretien ils sont la traduction de nos esquives.
Bêtement humain, juste humain…
Car on peut être fidèle à des nuancés de couleurs qui nous constituent, du bleu fumé de Filip Chrétien au noir monochrome de Bruit Noir.
« Cet ami » qu’on ne voit pas souvent, pour qui on a une petite tendresse, qui nous fait un peu peur aussi, qui nous intimide parfois, qu’on trouve à la fois brillant et inquiétant, qui plombe l’ambiance d’une soirée avec un mot d’esprit que personne ne comprend bien, entre rires et grimaces.
« Cet ami » à la misanthropie contagieuse, de ceux qui prennent « plaisir à se sentir sales » comme dirait le grand A.
Avec Bruit Noir, projet parallèle de Pascal Bouaziz et de Jean-Michel Pires de Mendelson, on dépasse encore la noirceur des « Heures » mais vient s’y adjoindre des mots d’esprit et un quatrième degré à décoder, un humour à la marge qui évite l’apitoiement trop facile mais qui contribue de cette glace acerbe.
Bruit Noir, soit cela provoque la répulsion et c’est bien , soit cela provoque la répulsion et c’est bien aussi
Poursuivons notre errance en 2015 dès demain
Greg Bod
« A la merveille
A la merveille des heures estompées
a la merveille des chimères
A la merveille
Levons l’horizon
A la merveille
je retournerai
Les lucioles étoiles fugaces
la timidité de la perle
A la merveille
a nos épaules nues
A toi, à la merveille
aux portes fermées
aux sauveteurs
aux galops qui surpassent les eaux
A la merveille
à la frêle expiration
au maigre fragment
A la merveille
je retourne
A l’oiseau de mer
a la merveille
à la vigueur des blancs
à la gomme
à la correction
Aux naufrages
aux pâles
aux temps en emportent les vents
A la merveille
balles perdues
feux trempés
acier émaillé
aux huiles douces
à l’heure des exquis
à l’indolore
à l’étoile noire
A la merveille
aux ancolies
Aux chairs froissées
A la merveille
je retournerai
les reflets dans les sous-bois
entre neige et pluie
entre barcarolle,
ritournelle et compagnon vorace
A la merveille »