Interview – Rémi Parson.
Avant de parler de ton actualité, j’ai découvert récemment tes « œuvres de jeunesse ». Quel regard portes-tu sur cette époque, ces époques, ces différents et nombreux groupes ?
Je porte sur elles un regard doux-amer. Je me dis parfois que j’aurais pu faire mieux. Pas tellement musicalement, mais en termes d’initiatives ; plus d’enthousiasme, de concerts. C’était tout de même une belle période, pleine de rebondissements. Il y a eu trois projets particulièrement importants pour moi : A Place For Parks, une évolution de notre groupe de collège, avec Bruno déjà, post-rock façon The For Carnation. On avait gagné le tremplin rock local, ce qui nous avait permis d’enregistrer notre disque et de trouver des dates. Je jouais aussi dans Electrophönvintage, très pop canal Nouvelle-Zélande, avec lequel j’ai sorti mon premier 45t en 2000 et deux albums. Enfin, The Sunny Street, dans une veine plus shoegaze/wave et qui a sans doute eu le plus « d’écho », si j’ose dire.
On a eu la chance de rencontrer des gens qui y ont cru : Pierre-Antoine du label Plastic Pancake, Gérald de We Are Unique Records et même Slumberland Records qui avait sorti un split 7’’ avec The Sunny Street, et tellement d’autres. Le milieu indie pop est assez petit mais implanté partout et très actif. Cela nous a donné l’occasion de sortir les disques qu’on voulait et de voyager (Royaume-Uni, Suède, Allemagne, États-Unis…).
Electrophönvintage, c’était juste avant la vraie explosion d’internet et c’était moins facile alors de se faire des contacts, on naviguait à vue. Pour The Sunny Street, je n’ai pas d’autres excuses que d’avoir voulu pousser à fond le mimétisme avec mes drôles d’idoles ; ces post-rockeurs sans visage, sans un mot… Ce principe de retrait me plaisait énormément mais je suppose que cela a dû donner l’impression que je n’étais pas prêt à me battre, ni à m’investir à fond. C’est comme ça, c’était mon état d’esprit. Ça m’a pris du temps d’avouer aux autres et surtout à moi-même qu’il n’y a rien d’autre qui compte autant dans ma vie.
Qu’en est-il du projet The Sunny Street ?
Electrophönvintage, c’est fini mais The Sunny Street, j’ai très envie d’y revenir. La voix de Delphine me manque et jouer avec mes amis Ian et Christos aussi. J’ai appris bien des choses ces deux dernières années et je crois que ça bénéficiera au groupe. À l’origine, c’était un projet pop et j’ai dérivé, jusqu’à débiter au kilomètres des trucs de producteur à base de samples, d’atmosphères vaguement mystérieuses, parfaitement vaines et injouables… plus vraiment des chansons. Ce « break » m’a fait du bien. J’ai dégraissé le mammouth, transvasé les synthés dans mon projet solo… De quoi repartir dans une voie plus claire. On ira sans doute mixer quelques morceaux plus tard dans l’année et essayer de rejouer. Encore une reformation au sommet…
Un an après Précipitations comment as-tu vécu ces 12 mois : la sortie de l’album, la scène, les critiques, l’accueil du disque ?
J’étais satisfait et soulagé par les retours, assez en phase avec ce que j’ai eu envie d’évoquer. C’est difficile de recevoir des critiques, surtout positives d’ailleurs, lorsqu’on n’a pas l’impression d’être compris. Avec The Sunny Street, j’avais dans l’idée de faire de la musique plombée, et on me renvoyait sans cesse les mots « sweet », « twee ». C’était plutôt déstabilisant. Je sais bien cependant qu’on ne peut choisir comment c’est reçu et que parfois, on retire deux ou trois trucs positifs de cet effet de miroir déformant.
Un nouvel EP un an après l’album : comment est né Montauban ? C’est venu très vite ? Le thème s’est imposé à toi, c’était un point de passage « obligé » ?
Les chansons ont été écrites assez vite. Je me suis toutefois retenu d’entreprendre trop tôt un chantier d’album car je voulais être certain de ne pas me répéter. J’ai des méthodes de travail assez arithmétiques et il me faut du temps pour les pervertir, les diluer dans d’autres influences, d’autres envies. Le maxi était donc une bonne solution, comme un pas de côté.
J’ai remarqué que l’étiquette montalbanaise prenait de plus en plus de place. L’idée que cette ville pouvait dire quoi que ce soit de moi m’a interpelé. J’ai passé tout mon âge adulte, ma vie professionnelle à Londres. Montauban n’a été que la sortie mensuelle au cinéma avec les camarades, l’acné, les roulages de pelle à la gare routière, le brevet blanc et puis un millier d’autres choses indicibles et beaucoup plus belles mais qui restent en apparence, moins fondamentales. Un thème idéal donc, regroupant pas mal de mes lubies : la private joke foireuse, un militantisme provincial qui confine à l’abstraction (tous ces noms de lieux parfaitement anodins) et puis cette idée de classicisme aussi. Le retour au bercail n’est pas un sujet neuf pour un sou mais je préfère cette idée de « passage obligé », comme un tamis universel qui ne laisse pourtant passer que ce que tu es vraiment. La recherche à tout prix d’un angle inédit, d’un chemin de traverse, ne représente pas grand-chose pour moi.
On dirait que tu as trouvé un fil, une direction avec ces deux disques : le français, la mélancolie, la volonté de quelque chose d’assez glamour, le côté un peu grandiloquent des eighties, mais avec des moyens somme toute assez simples ?
Oui c’est certain et ça m’enchante. Je crois que Précipitations et Montauban se répondent. Si par le passé j’ai multiplié les projets c’est parce que j’ai une sainte horreur de l’éclectisme. Ceci dit, chanter sous mon nom, mes chansons, avec ce spectre de la « variété » qui rôde, est très libérateur et me soigne de cette névrose. Le prochain disque sera mambo. Plus sérieusement, je crois que je continuerai d’explorer cet héritage 80’s qui est infiniment plus vaste, insaisissable et moderne qu’on veut bien le croire ou que celui d’autres décennies portées aux nues, plus cool.
Pour ce qui est de la mélancolie, pour dire vrai elle ne me quitte presque jamais. C’est la base de mon humeur bien que je ne sois pas pour autant un triste sire. Je ne sais pas pour le glamour, c’est sans doute moins conscient mais j’ai toujours l’idée du tube en tête, je ne suis pas contre les effets pyrotechniques, une certaine frontalité. La seule condition, comme tu dis, c’est de faire avec mes moyens, bricolés, simples, mes principes de traviole. C’est la chose qui me définit le plus en fait : le DIY. Pas le Lo-fi, attention, mais la volonté de faire de son mieux avec ce qu’on a, d’y mettre tout son cœur, toute sa sincérité plutôt que tout son matos, tous les ingrédients agréés, qui ne me parlent pas, qui sont en fin de compte trop concrets et prosaïques pour moi.
Tu le sais j’adore ce disque, on y retrouve le côté catchy et hyper mélodieux de tes compositions mais le ton me semble plus dark : il y a quelque chose de presque plus « violent », un aspect que l’on retrouve d’ailleurs quand tu es sur scène…
Merci beaucoup ! Dans ma tête il fallait que tout soit aussi froid et cassant que Montauban est chaud et alangui. Pour retranscrire ce frisson intérieur qui se glisse partout, dans les pataugeages à la piscine municipale ou les matches de basket du côté de Pouty, par 38 degrés à l’ombre.
Comme c’est un disque qui revient sur ces années de transit, il fallait que cela soit instable et violent. L’enfance et l’adolescence ne sont pas des époques que je regrette. Contrairement à beaucoup, je ne les associe pas à un âge d’or, à la liberté. Je me sens plus libre aujourd’hui. Cette dureté provient de là sans doute, de cette frustration résignée qui était pour moi le « mood » de ces années. Et puis oui, j’ai voulu intégrer cette énergie des concerts, cette interaction qu’on a développée avec Bruno.
Tu abordes à nouveau des sujets très personnels : tu ne te caches pas derrière des personnages ou des histoires, c’est un moteur pour toi ? Une évidence ?
Je voudrais que mes textes me ressemblent, sans fard, au moins en apparence. J’aime être tellement spécifique que tout devient flou, comme un zoom trop prononcé. C’est comme une pudeur bizarre mais également une précaution car le français peut être tellement pompeux, pompier, tellement bête quand on lui donne trop d’espace. C’est aussi un réflexe anglo-saxon de ne jamais perdre de vue la mélodie. En même temps, le potentiel de jeu avec la langue, les différents registres et l’importance de l’interprétation sont tellement plus passionnants en français, j’aurai à présent dû mal à m’en passer. C’est cet équilibre difficile que j’essaye d’obtenir, entre simplicité et profondeur. Je suis toujours dérangé par les deux extrêmes auxquels on a souvent affaire : d’un côté la tartine lyrique et de l’autre l’exercice de français seconde langue façon « comme ci, comme ça ».
La pochette est une nouvelle fois très réussie et singulière : comment se passe le travail de conception avec Brest Brest Brest ?
J’en suis tombé amoureux immédiatement, je la trouve très emblématique. La collaboration avec Rémy tient de la télépathie. je lui fais toute confiance et je suis toujours surpris par ses intuitions, sa profonde compréhension des chansons, des atmosphères. Pour Précipitations, j’avais été séduit tout de suite et pour le maxi, dès le second essai. Pendant longtemps, j’ai voulu tout faire, tout contrôler mais finissais par tourner autour des mêmes poncifs : cimetières, police de caractère Gill Sans… Certains disent que seule compte la musique, mais ces pochettes m’inspirent, mettent un point final à mes disques, créent une ligne de fuite supplémentaire.
Je voulais que tu parles un peu de tes synthés et machines…
Je travaille avec du matériel très hétéroclite, pas forcément mauvais mais très bon marché en tout cas. J’écume les brocantes, les « charity shops » (nos Emmaüs à nous) et les annonces Ebay à la recherche de bonnes affaires. Le synthé qui a tout « précipité » c’est le Casio CZ 230s, que j’utilise également en concert. Ses sons m’ont immédiatement inspiré, cheap et grandioses à la fois, comme seul Casio sait faire. Pour ce maxi j’ai utilisé le Yamaha PSS 390, un clavier « jouet » aux sons de cordes très sépulcraux. Je suis devenu assez geek à force d’explorer les forums et j’ai remarqué que les utilisateurs détestent souvent les sons d’origine. Ils veulent absolument pouvoir les moduler, les modifier. La seule chose qu’à la limite ils acceptent, ce sont les sons d’instruments bien rendus. Or, moi j’aime les sons pas réalistes, c’est cela qui m’emporte, qui me met au défi. Un son de harpe pourri, ça devient mon violon bizarre de Chine, un soi-disant tuba, une grosse basse pour le refrain. Une fois encore, la contrainte me plaît davantage. Je n’ai par ailleurs rien contre ce qui est « référencé », on m’avait fait ce reproche, mais je le trouve sans objet. On a toujours quelque chose en tête et tout le jeu est de se laisser dépasser, de rater son coup. C’est dans cette impulsion et ce glissement qu’on trouve de nouvelles voies.
Tu avais écrit, composé et enregistré Précipitations tout seul, là tu as voulu t’ouvrir, tu es allé en studio : que retires-tu de cette expérience, de ces collaborations ?
Ça venait de plusieurs choses. Ce qu’il y a de troublant avec la démarche DIY et plus généralement l’envie de n’en faire qu’à sa tête, est que tu en viens forcément à te demander si ce n’est pas l’unique raison de ta confidentialité. Ça peut te ronger et te pousser à emprunter la voie « normale ». Sans non plus céder aux sirènes de l’auto tune et aux beats en béton armé, j’ai voulu essayer d’enregistrer proprement quelques instruments plus délicats comme les pianos, les orgues… C’était intéressant. J’adore travailler avec Simon, l’ingénieur du son, plus habitué aux guitares qui vrombissent, aux batteries garage qu’aux claviers de récup’. Mais on se comprend et on se taquine, c’est une bonne dynamique.
Ç’a aussi été l’occasion de rencontrer Sam, un musicien génial. D’habitude les gars te diraient, « il a joué et il m’a impressionné, il a fait un sacré solo » mais la vérité est que je n’ai pas arrêté de le freiner : « c’est trois notes, pas quatre », « pas de changement de rythme, ennuie-toi », si bien qu’au bout de quelques heures il est devenu plus minimaliste que moi et qu’il a imaginé les parties de piano à un doigt qu’on entend sur Montmurat ou Messe des officiers. J’ai aimé ce petit rapport de force. Et diriger les opérations sans nécessairement tout jouer, avec du recul et le défi de se faire comprendre et de se battre pour ses idées. J’étais heureux que Bruno vienne enregistrer ses basses, superposées sur les lignes synthétiques pour retrouver ce qui fait la puissance des versions live.
J’avais besoin de tenter cette expérience, pour comparer les deux façons et trouver le juste dosage. Je n’ai pas tellement à gagner à me conformer. Je trouve d’ailleurs bizarre la vision « pro » qu’ont certaines personnes que je rencontre. Elles disent « ton album est bien, il sonne différent mais tu devrais acheter tel matos, enregistrer dans tel studio… », comme s’il y avait quand même un cahier des charges sous-jacent et qu’il fallait rentrer dans le rang… Je trouve cela paradoxal mais ça me conforte dans mon choix de poursuivre cet entre-deux, en pensant seulement à ce qui me transporte.
Comme évoqué plus haut, sur scène il y a quelque chose de plus dur que sur les disques, les guitares prennent souvent le dessus, comme si la mélancolie se transformait peu à peu en rage ou en colère ?
La scène, c’est l’endroit de la rage. J’aime les versions brutes. Je suis un piètre pianiste et la guitare est mon instrument de base alors je lui fais la part belle. C’est plus spectaculaire aussi, de gratter à toute blinde que de pianoter mollement. Sur disque, je veux enluminer, empiler, glacer l’ensemble. En concert, je préfère le squelette qui danse, qui claque des dents. La combinaison des deux aspects englobe l’ensemble des émotions qui président à l’écriture d’un morceau. C’est parfois frustrant pour moi et sans doute aussi pour les gens qui viennent me voir mais je ne sais pas faire autrement. Je n’ai fait que 20 concerts avec ce projet et je cherche toujours à m’améliorer, à repenser la formule en fonction des salles et des publics.
Des concerts prévus pour accompagner la sortie de l’EP ? En France notamment ?
L’année 2016 débute fort. Je jouerai à Paris à l’International le 25 février, puis à Toulouse, peut-être Montauban et Marseille en mars avec Requin Chagrin, Dijon en avril… J’essaye de dire oui à toutes les propositions, c’est quand même la belle vie de jouer.
Question rituelle : des coups de cœur ou découvertes musicales récents ?
J’écoute toujours aussi peu de musique mais je ne veux pas oublier de citer Orchidée Noire. J’aime ce projet, notamment ses textes étranges, arachnéens. C’est très beau et très fort je trouve.
Tu peux nous dire deux mots de Requin Chagrin avec qui tu as partagé l’affiche pour plusieurs dates ? Dans un registre différent il y a cette quête de la mélodie qui tue non ?
On commence à se connaître et on va encore jouer ensemble ! Je les aime énormément, ils sont tellement drôles et simples. Sur scène c’est de la mécanique de précision et je me sens proche de leur démarche : des bonnes chansons un point c’est tout. Je sens chez eux une vraie sincérité, c’est le meilleur fuel du monde.
Tu es déjà sur le prochain disque ? Des évolutions à prévoir ?
Oui j’ai déjà des pistes ! Trois ou quatre qui fonctionnent. Un autre maxi ? Je ne sais pas encore comment les décrire, mais davantage The Wake, plus enfiévrées…
Merci Rémi.
A reblogué ceci sur Rémi Parsonet a ajouté:
Belle interview chez Pop, Cultures & CIE !
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