Live Report – Rémi Parson & Requin Chagrin – Le Point Éphémère (23 février 2017).
Promenade pop de haute volée hier soir au Point Éphémère, histoire d’oublier le Brexit et le reste, de faire pendant deux heures comme si rien n’allait changer, partager une bière chaude dans ambiance de crunch pacifique, objectif match nul et refaire le monde, le repeindre aux couleurs d’une mélancolie tour à tour solaire et anthracite. Duel au sommet d’une pop en français sans complexe, entre Rémi Parson et la joyeuse bande des Requin Chagrin, dans une salle chauffée à blanc. Accessoirement, l’affiche sonnait un peu comme un cadeau spécialement destiné à Pop, Cultures & Cie, tant le travail de ces orfèvres ès mélodies irrésistibles rythme la vie de ce blog depuis deux ans que je suis leurs trajectoires parallèles nécessairement amenées à se croiser à un moment ou un autre.
A Parson la plongée en apnée dans un intime façon Pays Gris, dans les entrailles et les tripes de tourments sincères et sublimés. Du haut de ses allures d’éternel jeune débutant, plus de 15 années d’expérimentations musicales vous contemplent : du post rock en cinémascope de A Place For Parks (avec déjà Bruno Galibert qui l’accompagne à la basse sur scène), à la pop façon dentelle de The Sunny Street ou d’Electrophönvintage, cousins français de l’écurie Sarah Records ou de The Bats, Rémi Parson continue à verser du sel sur nos plaies. Refusant la facilité de la surenchère de moyens sans pour autant renoncer au panache, il traine en bande avec les fantômes de New Order et The Cure, avec cette élégance folle que lui confère une écriture en français de grande tenue. Aux Requin Chagrin la nostalgie solaire de guitares qui incitent aux balades sur la corniche pour prolonger encore quelques heures l’insouciance d’une jeunesse qui a déjà conscience de l’inéluctabilité de la chute et de l’éphémèrité de ces bouffées de bonheur partagées. Chez les deux, une même exigence : faire de bonnes chansons. De celles qui touchent au cœur et à l’âme.
Sur scène, chacun creuse son sillon, plaçant la barre un peu plus haut à chaque fois. C’est à l’Anglais de Montauban qu’il revenait de tirer le premier. La salle du quai Valmy est l’écrin idéal pour la mélancolie sombre et la pop de plus en plus dark de Rémi Parson. Sans jamais renier sa recherche de la mélodie parfaite, le Londonien d’adoption continue composition après composition de bâtir une œuvre dont on mesurera la qualité un jour. La présence de son compère Bruno à la basse appuie là où ça fait mal. Les chansons comme les cieux se couvrent de gris, et titre après titre, celui qui rêvait de faire quelque chose de grand de la tristesse prouve qu’il ne s’agissait pas que de paroles. Peu importe que son Casio vintage crachote, peu importe les aléas du directs, l’émotion monte au fur et à mesure que les chansons défilent. Du Pétrole, l’un de ses nouveaux morceaux, trouve évidemment et naturellement sa place dans le set, entre Gomina et Les cieux. Dense et intense, le concert chemine jusqu’à un magistral Messe des officier, chef d’œuvre de Parson, et dont l’intro du jour donne une idée des voies qu’il cherche à emprunter pour la suite : réduire encore la voilure, mettre de l’électro là où on attend des guitares, ou l’inverse demain, gratter l’os, épurer, sculpter. Et surtout ne jamais transiger sur la sincérité. Comme à chaque fois en live, les deux artistes assombrissent le tableau, alourdissent les basses, salissent les riffs. C’est à chaque fois meilleur.
Des requins gonflables flottent dans l’air moite de la salle blindée pour faire patienter la foule grandissante des fidèles de la bande de Marion Brunetto. Il y a deux ans, lors de leur première trilogie de concerts (Olympic Café, Espace B, Trois Baudets), l’incroyable énergie qui animait le jeune groupe sautait aux yeux des heureux spectateurs déjà conquis par ce mélange impressionnant de maturité et de fraicheur. Armés de nombreux mois de tournée au compteur et de quelques nouvelles compositions, les Requin Chagrin enchainent leurs tubes avec l’insouciance d’une jeunesse à la fois enthousiaste et lucide. Il règne parfois comme une ambiance de fin d’époque, comme s’il fallait absolument en profiter, jouir pendant qu’il est encore temps, ne sachant pas de quoi demain sera fait. Marion et Greg les bras en croix, le requin sur le devant de la scène, les claviers et les modules de Yohan, Romain derrière sa batterie, la spectacle est rodé et pourtant à chaque fois différent, l’impeccable tenue des compositions permettant en effet les digressions et les escapades. Ciao Rubello, Adélaïde ou Bleu Nuit ont fière allure sur scène. Le Chagrin fait chavirer une salle en transe avant que les artificiers et la cavalcade épique d’Atlas (tuerie que ce morceau) n’achève de transformer le Point Éphémère en arène amoureuse dans une ambiance de réveillon pop euphorique. C’est à chaque fois meilleur.
Entre les deux, Rémi Chagrin et Requin Parson auront mêlé leur sang fraternellement dans un Brexit impeccable. Synthèse parfaite de leur talent, fusion de leurs univers, comme les deux faces opposées d’une même mélancolie.
© Matthieu Dufour
A reblogué ceci sur A Cardboard Dream.
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