Chronique – Filip Chrétien – Les traces.
Plus arrangé, plus ouvert (de nombreuses collaborations : Orso Jesenska, Jean-Louis Bergère, Lou, …) que Dia à Dia, précédent album de Filip Chrétien, Les traces est aussi un peu plus grave, plus à vif. La filiation est évidente, on retrouve cette voix chaude, grave, complice, et cette pop acoustique élégante et nuancée. Ce sentiment d’être autour d’une table, d’un verre, avec un ami, de pouvoir sans honte et sans peur mettre sur la table mes doutes, mes blessures et mes larmes, Cette présence sans fard, cette façon de se mettre à poil avec une grande pudeur. Des les premières notes on est submergé par cette beauté fluide et évidente. Merveille de mélancolie.
Filip Chrétien continue donc de tracer son sillon sans tricher, avec bienveillance et un naturel qui peut paraître d’une autre époque, une sorte de timidité naïve et touchante, une attitude d’avant les réseaux sociaux, quand les artistes ne se mettaient pas en scène au quotidien. A la mélancolie s’ajoute une nostalgie plus prégnante : de la chanson initiatique (L’aventure) à la reprise de Yves Simon (Diabolo Menthe), héritage paternel, Filip Chrétien se bat avec ses souvenirs, soumis à des vents contraires, la difficulté d’apprendre malgré les échecs, avancer. Exorciser le passé, se souvenir des belles choses, ne pas renier mais poursuivre malgré le poids du passé, laisser quelques valises sur le bord de la route. A l’opposé d’une tradition qui met le pathos au cœur du projet et qui surjoue en permanence les sentiments, ici tout est finesse et retenue. C’est ce qui fait sa force. Il y a du Sautet dans cette façon de disséquer avec précision la complexité de nos éducations sentimentales, de trouver les mots justes pour dire nos troubles et nos hésitations, pour accoucher nos sentiments pudiques.
Avec ses nombreux joyaux (Les traces, Mes sentiments, Comme je l’attends, La couleur des fleurs et sa mélodie déchirante qui un soir d’ivresse risque bien de faire couler quelques larmes), ce disque s’ajoutera aisément à la liste de mes compagnons de route indispensables : ces béquilles pour les hivers glacés, le spleen automnal, les printemps ressuscités, les étés aux aubes pleines de promesses. Un ami de tous les jours, un refuge, une anse amicale où jeter l’ancre quelques temps pour se refaire, une ile dans le golfe, un peu à l’écart, retrouver le goût de la solitude, non pas par dégoût des autres mais par envie de passer un peu de temps avec soi-même, d’inspecter les morsures des nuits agitées, les plaies des amours coupantes. Une borne pour mesurer le chemin parcouru. Un road-movie sentimental. Ce disque c’est toi Filip, c’est moi, c’est un peu nous tous. Pour peu que l’on se fasse confiance et que l’on se débarrasse des oripeaux de la vaste comédie humaine, celle qui nous conduit tous les matins à nous mentir à nous mêmes. Les maux dits avec sincérité et une élégance infinie. Tout semble si simple en sa compagnie.
Matthieu Dufour
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