Quand la musique est bonne : l’année 2015 vue par Greg Bod (2/7)
« Look up here, I’m in heaven
I’ve got scars that can’t be seen
I’ve got drama, can’t be stolen
Everybody knows me now »
Une année s’achève quand les résolutions prennent du plomb dans l’aile, quand les résolutions s’endeuillent.
Quand les » je ferai différemment » se transforment en « peut-être que ».
Quand le gui n’a même pas encore fané, quand le sapin n’a pas encore fini sa vie sur un bord de trottoir entre le trivial des containers à déchets et la tristesse des cadeaux avariés ou déjà cassés.
2015 fut une année terrible, faite de deuils, de retours, de violence rentrée, de douleur sublimée.
Les albums qui ponctuèrent mon année 2015 furent constitués des mille et une gouttelettes qui forment une vague froide.
De la chaleur des vertiges d’Arman Méliès à la mélancolie bricolée de Garden With Lips. Autant de déclinaisons, d’infimes variations de ce que c’est que d’être humain, de se confronter aux autres, d’entrer en résonance avec le monde. Le lâcher-prise dans la voix et le chant, une soif de lyrisme de l’auteur de Vertigone quand La Voix de mon rêve préfère hésiter entre un cadavre exquis surréaliste et un bienvenue classicisme à savoir décoder.
Il faudra encore rappeler ici l’importance du label brestois, L’église de la petite folie, pourvoyeur de bien belles choses musicales, d’Arnaud Le Gouëfflec en passant par Chapi Chapo, Delgado Jones ou encore Ched Helias. On y reviendra d’ailleurs plus tard ensemble cette semaine mais ne dévoilons rien et poursuivons notre chemin
D’ailleurs, nous ne quittons pas encore tout à fait les brestois car Arnaud et ses sbires organisent un rendez-vous annuel de la musique étrange et Underground, dans les marges dans la belle ville où la Tour Tanguy côtoie Miossec. Ce Rendez-vous, c’est le Festival Invisible avec cette année une affiche une fois de plus défricheuse et curieuse, citons le Half Japanese de Jad Fair, Gaspar Claus, L’Etrangleuse ou encore les américains de Enablers.
Ce concert des Enablers comme un des moments de mon année musicale, la rencontre avec une rage salvatrice et apaisée, avec la présence de Pete Simonelli, jamais très lointaine de l’animalité chamanique de Nick Cave. Ajoutez y la provocation des Stooges et les assauts des Swans et vous commencerez à avoir une maigre idée du choc face à un concert comme celui-là.
Une musique suffisamment riche pour ne pas perdre de sa pertinence sur album, pour aller se plonger dans la richesse des textes, des ambiances incohérentes et fortes.
Une musique adulte à la révolte première, à l’angoisse sourde, à la frontalité sublimée.
Ou encore la beauté évidente et régulière de Daniel Lopatin, avec ou sans Tim Kecker, ici cette année encore avec son projet Oneothrix Point Never.
Inspiré lui aussi par l’hantologie (théorie initiée par Derrida, qui n’est rien de plus que l’expression d’œuvres prenant pour racine des traces culturelles du passé, comme des empreintes invisibles qui permettent aux fantômes d’époques révolues de s’exprimer, de remonter à la surface, de s’affirmer dans notre modernité) comme Leyland Kirby ou Boards Of Canada. Il y a chez lui cette hyper modernité grésillante, cette patine rétroactive, ce pragmatisme du rétroviseur.
Une année, c’est aussi retrouver des amis fidèles, c’est parfois commencer une relation, c’est parfois un second rendez-vous.
Cette année, ce rendez-vous, c’était avec Anna Von Hauswolff et son 3eme album, The Miraculous qui raffermit encore notre désir de prendre date avec la demoiselle habitée, pour ne pas dire hantée. Certes, ce n’est pas chose aisée de suivre ses pas car ici, on n’est pas en lieu quiet mais dans les tortures des oubliettes, à mi distance des plaisirs froids d’un Sade antipathique et la noirceur des tombes, comme la rencontre entre Bach et Nosferatu.
Sépulcral, introspectif et dérangeant…
Poursuivons nos errances en 2015 dès demain sur Pop Cultures & Cie
« Avant que la vie ne vienne nous perturber
avant que la vie n’ait fui ce corps
Laissez moi la force de vaincre la joie l’amour et leur restes
Je les laisserai en pièces à la table de nos banquets
au milieu des convives
Nos dents déchirant la soie
Que la joie s’éteigne à jamais
Je poserai ma main sur leurs mots soufflants
sous mes doigts, la peau qui blanchit
sous mes doigts, la chair à la froideur qui tient enfin ses promesses…
Que la mémoire perde pied
que la confusion nous gagne
J’aurai plaisir à me saisir de ces filaments blancs
à les déchirer et laisser courir dans les égouts
à salir les pierres
Que la grâce se noie
qu’elle disparaisse
Enfin se contenter des danseurs qui rampent
des bleus trop clairs
De bois
De matière
De molécule
De particule
De préambule
Je suis constitué
Quotidienne et méridienne »