La Mostlamouratée Tape de Maud Octallinn.
Parmi les nombreuses éclosions et révélations de la Souterraine, Maud Octallinn est l’une des plus singulières et des plus attachantes. Une certaine façon de voir et de raconter la vie qui tranche avec la grande comédie à laquelle nous nous prêtons tous plus ou moins. Certains artistes compris. Une écriture, une voix, un rythme. Dans l’incohérence apparente, tout semble cohérent, le personnage, les chansons, les concerts. Une vraie sincérité dans l’art du ratage. Un genre d’unité bordélique. Un truc à elle, une évidence. On peut ne pas aimer mais il y a ce petit supplément d’âme qui accroche. Sur disque elle semble laisser libre cours à ses intuitions, oubliant la frontière entre vie quotidienne, fantasme et rêves. Comme si parfois elle disait à haute voix ce que nous nous interdisons même de penser. En concert, c’est un terrain de recherche permanent, seule, parfois grippée, puis bien accompagnée, elle a récemment introduit des cuivres qui donnent à son univers barré une dimension baroque et chaude supplémentaire. Bref, comme la cuisine de sa maman, ses chansons et l’univers de Maud Octallinn n’ont pas besoin de piment. Satiriques, lunaires, perchées, caustiques, naïves, surréalistes, ses comptines pour adultes, ses chansons bricolées avec talent définissent peu un peu un vrai style. Une marque. Un mariage détonnant de candeur lucide et de second degré sincère. Cette Mostla Tape en apporte, si besoin était, une éclatante et vénéneuse preuve.
Le boucher, première de cordée, est un bon exemple de ce qui peut fasciner chez elle. Ce mélange de réalisme et d’humour, de décalage et de franchise, comme quelque chose qui rend la vie quotidienne plus supportable. Qui aujourd’hui peut, sans être ridicule, caser une saucisse de Morteau et du fromage de tête dans une chanson ?
Style – Maud O : « Il n’y a pas vraiment de manipulation là dedans, il y a plus d’effets indésirables que d’effets désirés ! J’écris et compose ce qui jallit de moi (plus de mon cœur et de mes entrailles que de mon cerveau) en y retouchant le moins possible : une approche très naïve/primitive, en fait. Mes compos peuvent prendre la forme d’une comptine, d’une chanson, d’une psalmodie, peu importe. Dans tous les cas, texte et musique sont imbriqués dès le début du processus de création, tant et si bien que je ne sais pas trop si je suis compositrice de mots ou écrivaine de mélodies.
J’accorde de plus en plus d’importance à la dimension scénique. Je teste et ajuste mes morceaux en concert, c’est mon gueuloir à moi. En solo, j’improvise (et du coup je rate) énormément : je coupe/ajoute du texte et modifie les structures/arrangements en fonction de mes humeurs et de celles du public. Les musiciens très patients qui m’accompagnent de temps en temps sur scène peinent à me suivre : on travaille un titre, et puis quand on se revoit 3 mois après la structure a complètement changé, alors on travaille une autre version. Ce format Tape me convient bien : c’est une version non officielle de ces 10 titres à un instant T. Si je devais les enregistrer dans 6 mois, ça prendrait sans doute une toute autre forme.
Pour en revenir à l’effet comique, l’humour est omniprésent dans ma vie, et du coup dans ma musique aussi. J’ai pris le parti très sérieux de rire de tout, et surtout des mélodrames auxquels j’assiste aux premières loges. Cette apologie du ratage sous toutes ses formes (pas seulement celle de l’amour raté) me donne des petites ailes décomplexantes et un recul salvateur.
Ce n’est pas parce que mes textes ne sont pas engagés que je ne me postionne pas parmi les punk de la chanson française ; parfois créer et agir en dehors des codes est plus marginalisant que le fait d’incarner une satire sociale. »
Maud Octallinn est également représentative de cette jeune scène qui se prend en main, joue, bricole, échange, mutualise, invente, de nouvelles façon de faire voyager la musique. De cette scène souterraine aux allures dépareillées, naissent des rencontres, des partages, des collaboration parfois évidentes et d’autres plus surprenantes mais non moins brillantes. Cette sélection du moment est le terrain de jeu idéal pour ces mariages plus ou moins étonnants. Comme ce superbe plombage en règle d’un J’aime ton personnage de fiction torturé par les excellents Les Lignes droites (chronique de leur magnifique l’EP ici)
Compagnons de chagrin – Maud O : « Les femmes n’ont pas le monopole de l’amour raté, bon sang, je tenais donc à leur donner aussi un peu la parole, à ces compagnons de chagrin. »
Cette chanson qui clôt la Mostla voit naitre une « expérience sensuelle superposant un extrait du court-métrage « D’Amore Si Vive » d’Agosti et des extraits de la BO de « La Strada » de Fellini. »
Synesthésie – « J’aime beaucoup la culture italienne, mais je crois que ce bonus révèle davantage ma fascination pour la synesthésie. J’ai étudié avec passion les ponts entre littérature et musique et entre cinéma et musique. Parfois je regarde des films en VO non sous-titrés : ça me fait un bien fou de me détacher des mots et de laisser la BO et les dialogues (qui deviennent alors des mélodies additionnelles, surtout lorsque c’est de l’italien) ne faire qu’un avec les images. Je repère comme ça des contre-sens étonnants entre musique et image, ou alors des liens d’une belle finesse. En regardant le court-métrage d’Agosti sous-titré, et plus particulièrement cet extrait où il questionne un gamin follement visionnaire sur sa vision de l’amour, je me suis dis mince il n’y a que du son direct, alors que la voix très mélodieuse pourrait devenir la soliste d’un beau concerto pour gamin au chewing-gum. Il ne manquait plus qu’un orchestre, alors je lui en ai ajouté un qui se moque doucettement de lui. »
Un peu avant elle croise les notes avec le poétique Camille Benâtre pour un bal des ratés entrainant ou invite les effluves psyché de La Mirastella.
Cette Mostlamouratée est comme la musique aujourd’hui, comme l’artiste, protéiforme, multifacettes, une belle illustration de son talent, un disque choral, la BO de nos vies aux allures souvent si misérables et pourtant remplies d’émotions mal maitrisées, d’erreurs mal apprivoisées et de quelques bouffées de joie franche. Elle est l’occasion de revisiter de belle manière cette superbe chanson qu’est La joie seule, hymne Octallinnien aux allures de complainte lancinante, captive et addictive.
Parcours – Maud O : « Ce projet solo existe depuis toujours en quelque sorte, dans la mesure où j’écris des histoires, des comptines et des chansons depuis que je suis gamine. En revanche, il y a eu plusieurs gros déclics dans mon parcours de musicienne : le fait d’arrêter le conservatoire à 16 ans, et donc le fait de m’intéresser à plein d’autres choses qu’à la musique classique, en partie grâce à l’un de mes profs, François Eberlé, qui m’a initiée à la chanson française et aux arrangements piano/voix ; le fait d’arrêter de jouer dans mon ancien projet (folk rock) dans lequel j’ai fait mes armes en tant que claviériste/choriste/parolière ; et des déclics plus intimes comme le fait d’être en mesure de monter seule sur scène – ce qui franchement était loin d’être gagné ! Plus récemment, c’est La Souterraine (Benjamin Caschera et Laurent Bajon), en me programmant et en me soutenant beaucoup, qui m’a indirectement poussée à quitter mon boulot pour me consacrer exclusivement à mes activités artistiques (musique et écriture). »
Tous les titres méritent votre attention, et j’aime bien cette interprétation du If des Pink Floyd, à l’image de l’artiste qui la fait rentrer dans son monde.
Influences – Maud O : « Je crois que tous les musiciens traînent une grosse valise pleine de repères réconfortants, et que la mienne est très éclectique, voire un peu déroutante ! J’ai écouté Joanna Newsom et de nombreuses autres icônes féminines tous styles confondus (Nina Simone, PJ Harvey, Joni Mitchell, Lhasa, Soap & Skin, Regina Spektor, Josephine Foster, Alina Orlova…), mais également de la musique classique, du jazz, du rock progressif, des musiques du monde, et plus récemment de la musique électronique, de la soul et… de la chanson française au sens très large du terme. J’ai du mal à me positionner dans tout ça, je me sens un peu transgenre. J’aimerais pouvoir me définir efficacement en affirmant que je fais de la folk débridée, du rock garage musette, de l’anti-pop second degré ou encore de la croonette punk, mais je trouve chacune de ces étiquettes enfermante. J’aime l’idée d’être un peu partout à la fois (et surtout là où on ne m’attend pas), et de me laisser dériver d’un style à un autre, au gré des envies et des rencontres. Si j’ai changé de vie récemment, c’est pour gagner en liberté et non pour entrer dans un nouveau moule. »
Une Mostla Tape sexy, luxuriante, écartelée, intrigante, drôle, psyché, baroque, touchante (et même pas ratée) qui permet à la fois d’illustrer le talent de Maud O. tout en laissant libre cours à ses expérimentations et ses envies du moment : sortir des titres, des disques, faire en entendre sa voix octallinne. Elle aurait tort de nous en priver.
Maud O : « Sur beaucoup de titres, j’ai enregistré le clavier et la voix simultanément, et c’est quasiment que de la prise unique, un peu comme si j’avais enregistré sur un 4 pistes, ce qui accentue le côté spontané et parfois bancal. »
Matthieu Dufour
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