Chronique – 49 Swimming Pools – How The Wild Calls To Me.
“Le monde est très grand et plein de contrées magnifiques que l’existence de mille hommes ne suffirait pas à visiter’’ écrivait Rimbaud à Aden. Je pense parfois à ces mots quand je tombe sur un nouveau disque, une nouvelle proposition musicale. Si je me lasse souvent du manque de prise de risque ou d’âme de certains, si je m’agace facilement de la vacuité et de l’inutilité de certains disques, je reste toujours cet adolescent prêt à me laisser ébranler par l’émotion d’une voix, la soudaine familiarité d’une mélodie ou l’évidence d’une chanson. A un moment, revient toujours cette curiosité qui pousse à aller explorer d’autres territoires, qu’ils soient pavés d’accords imparfaits ou brouillés d’une poussière ocre et épaisse. Aux antipodes ou de l’autre côté d’un océan, au fond du jardin ou au coin de la rue, ces espaces sont heureusement toujours à portée d’imagination.
Succession tranquille de vallées infinies et fertiles, de clairières où il fait bon s’abandonner et paresser, de sentiers rocailleux qui serpentent et montent paisiblement vers le sommet d’une colline balayée par des vents chauds, le nouvel album des 49 Swimming Pools est une merveille de relâchement habité par l’esprit d’un poète, Everett Ruess, disparu en 1934 lors d’un voyage dans l’immensité américaine. Dès la première écoute, il s’en dégage une fluidité apaisante et une sérénité mélancolique. Un peu comme si ces morceaux s’étaient naturellement imposés à eux, dictés par des forces extérieures, comme une expérience quantique, une intention flottant dans l’air.
Laissant de côté (momentanément ?) le crawl de pop songs catchy, Emmanuel Tellier, Étienne Dutin, Fabien Tessier et Samuel Léger, dérivent paisiblement en nage indienne dans un folk rock en CinémaScope, chaud et charnel, lumineux et réjouissant. S’ils n’ont rien oublié de leurs talents de mélodistes, ils prennent leur temps, plus libres que jamais, pour raconter l’histoire fascinante et mystérieuse de ce jeune homme jamais revenu d’une nouvelle expédition au fin fond de l’Utah.
Magnifique disque, d’une évidence à fleur d’âme, remplis de moments de grâce épidermique et de bouffées d’un bonheur simple comme un lever de soleil sur l’horizon, album mélancolique mais étrangement plein d’espoir, How The Wild Calls To Me impose sa beauté naturelle et touche en plein coeur.
Et puis il y a la voix d’Emmanuel Tellier, qui atteint sur ce disque des sommets d’émotion, touchante et vibrante, comme si elle lui échappait un peu elle aussi, partiellement, hantée par celle de ce gamin à la folle audace, cet insoumis précoce bien décidé à emprunter sa propre voie. Car c’est aussi une autre vision de l’Amérique et de la société que proposent les 49 Swimming Pools ici. En talentueux grand reporter qu’il est, Tellier parvient à transformer ce matériau de l’intime, du terroir, en histoire universelle. Il est question en filigrane d’une vie à la marge, de refus de la voie tracée, d’un autre rapport à la nature qui nous entoure. Un disque émouvant et intelligent à la fois en somme. Plutôt précieux non ?
© Matthieu Dufour
« La vie d’un homme devrait être une marche solennelle au son d’une musique exquise, mais secrète. Quand elle semble aux autres désordonnée et discordante, c’est qu’il marche d’un rythme plus rapide ou que son oreille plus délicate l’entraîne en mille symphonies et variations. Pas de halte jamais, sinon à la fin de l’étape, ou bien une de ces pauses qui sont plus riches que tous les sons, quand la mélodie plonge à des profondeurs si étranges qu’elle n’est plus perceptible, plus qu’un simple abandon au seuil de l’être et de la vie. Ne jamais faire un pas à contretemps, même aux moments les plus difficiles, car c’est alors que la musique ne manquera pas d’accroître son volume et sa douceur, mesurant elle-même le mouvement qu’elle a inspiré. » HD Thoreau
L’album fait partie d’un projet global en cours de financement chez Microcultures. Spectacle, documentaire, le sujet méritait bien ce décloisonnement. Vous pouvez contribuer ici : La disparition d’Everett Ruess.
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