À quoi ça rime ? Summer.
C’est avec plaisir non dissimulé que j’accueille dans cette rubrique la contribution d’un groupe que j’adore : Summer (chroniqué ici : Syndrome de Stockholm, et interviewé là : ITW Jean Thooris). Une contribution qui vous le verrez prend le débat induit par la question « À quoi ça rime ? » à bras le corps dans un texte qui ressemble à leur musique : intelligent, sensible et cash. Un texte qui apporte des réponses et pose des questions : la contribution idéale pour débattre et avancer… Merci donc à Jean et Louis-Marie !
« À quoi ça rime ? » À rien, finalement !
Il faudrait déjà définir en quoi consiste, aujourd’hui, le fait d’essayer d’injecter un peu de poésie au quotidien. Perso, le mot poésie me fait chier ; du moins en musique. Si tu veux faire de la poésie, écris des livres, pas des chansons. Mais hasardons une seule seconde que la musique puisse être « poétique »… Que donnerait la formule ? Éventuellement, tendre un miroir vers l’auditeur, lui faire partager certaines vérités personnelles ; voire, pour les plus courageux (ou inconscients), refléter le bordel du monde. Pourtant, dans notre chère contrée où l’héritage culturel avoisine le gros mot, l’anglais domine, les chanteurs rechignent à s’exprimer dans leur langue maternelle. Mais quelque chose bloque (pas toujours, mais souvent). Autant les anglo-saxons ont le chic pour rendre « poétique » la simple évocation d’une chambrette à Whalley Range ou de Lady Di s’invitant à boire le thé, autant les frenchy usant du Shakespeare donnent une sensation de camoufler la peur de s’exprimer, une sensation de se protéger derrière le fait que « personne ne s’intéresse à des paroles anglaises alors écrivons n’importe quoi ». Ce n’est que de la pop, entendons-nous. Sous-entendu : du futile, de l’éphémère. Quid des Smiths, des Go Betweens, de Lloyd Cole ?…
L’inverse se vérifie également : vouloir expressément sonner « poétique » avec des mots français. Et là, désolé : si Bashung jonglait avec l’abécédaire pour créer un univers « à sa façon », si Murat est capable de rendre érotique une phrase aussi couillonne telle que « ouais, une bite en or », la plupart des groupes ou des chanteurs français n’ont rien de poétique. Pratique, la poésie : lorsque tu n’as rien à dire, enquille les alexandrins et les assonances (avec un propos très flou) et on dira de toi que tu es inspiré, que tu possèdes le sens des mots.
Alors à quoi ça rime de se prendre la tête ? À si peu…
J’en reviens à cette pratique de la « poésie » dans la musique française. Elle existe, pourtant ; sous diverses formes. Mais elle reste inconsciente, elle surgie par inadvertance. Je n’imagine guère des gens tels que Fred Debief ou Agnès Gayraud écrire en cherchant « la formule qui tue », « la beauté lexicale », « la symétrie parfaite »… Et pourtant, à leurs façons, ces deux artistes sont des poètes. Car chez eux, le travail sur le langage découle d’une intention parfois autobiographique, souvent intime. C’est en partant du « je » qu’ils aboutissent ensuite à un écrit que l’on pourrait qualifier de poétique de par le mystère global, l’implicite ou le refus de trop en dire…
Il y a également les (nommons-les ainsi) « hyperréalistes » : Noir Boy George, Matthieu Malon, Michel Cloup, Rhume… C’est du cru, du vif, de l’urgent. Dans le cas d’un Noir Boy George, par exemple, les phrases partent dans tous les sens, les répétitions « maladroites » abondent… Mais ça fonctionne. Ça touche. Ça émeut… Certains ne parleront ici que de déballages intimes ou d’auto-complaisance. Là, je me remémore une interview d’Arthur H (dont je ne connais pas la musique) : le fils H, pour résumer, accusait nos « hyperréalistes » d’exhiber leurs problèmes avec une fierté à peine dissimulée. Il s’agit plutôt, je pense, d’un don de soi, d’un partage revigorant pour l’émetteur comme pour le récepteur. La fierté est ici une notion inconnue puisque « purger les vipères » (copyright Murat) exige de transformer le « je » en un « tu » ou un « vous » collectif. Et cela occasionne de la poésie là où il ne devrait normalement pas en exister (« la poésie du caniveau », m’avait-on dit un jour à propos de Daniel Darc).
Alors à quoi ça rime ? À toi et à moi, finalement…
La « poésie » existe également, et fort heureusement, chez certains artistes français préférant, de façon naturelle, écrire en anglais. Pour remonter dans les 80’s, impossible de reprocher à Marquis de Sade ou à Dominique Laboubée de préférer le langage Beatles plutôt que les racines « Brel, Ferré, Brassens, laissez-les où ils sont ».
De nos jours, cela se sent, cela s’entend lorsqu’un musicien utilise l’anglais par nécessité (il est parfaitement concevable de ressentir bien plus de libertés dans l’expression anglaise que dans l’intimidante filiation française) ou bien par simple logique rock (ne disait-on pas, durant plusieurs décennies, que « rock » et « français » étaient deux mots antinomiques – sinon pour parler de journalisme ?).
Citons Laetitia Shériff. Depuis maintenant dix ans, elle chante british, façon rock qui remue les tripes. Il y a néanmoins chez Laetitia mille fois plus de partages et d’honnêtetés que chez les apothicaires de la tradition française. De façon similaire à La Féline, Laetitia Shériff part de l’intime pour créer des ambiances, des mystères et des charmes poignants. Sauf que l’une écrit en français, et l’autre pas. La différence ? Inexistante : même sensation (baume au cœur), même humanité (une amie nous parle intimement), même nécessité (la musique comme raison de vivre)… Laetitia Shériff, sans le vouloir ni le chercher, écrit de la poésie. Simplement car elle réussit à communiquer un flot d’émotions qui ne doit absolument rien au choix de la langue utilisée. Et l’on pourrait dire la même chose de La Féline : lorsqu’Agnès chante en anglais, cela ne change pas grand-chose à son besoin d’écrire telle chanson plutôt qu’une autre.
Alors, à quoi ça rime, mec ? Ça rime peut-être mieux quand cela ne rime pas…
Si l’on part de la définition qu’en donne Michel Houellebecq dans le film sur son enlèvement, la poésie serait un cadre rythmique dans lequel il faut rentrer un thème, pas plus. « Après, c’est facile : y’a plus qu’à… ». Pareil quand la musique vient avant le texte : trouver une rythmique de texte, un flow (en 5, en 4, en 4+5, en 9, en 12 parfois), chercher un thème et puis… « Y’a plus qu’à ! »
La poésie serait (à peine) le fait d’arriver à mettre des mots les uns après les autres ; et si en plus cela sonne (assonance..) et que cela émeut, c’est mieux que le contraire sans néanmoins s’apparenter à une obligation. La poésie est une action, pas un résultat…
À qui ça rime ? À beaucoup…
SUMMER
Biographie
Crée en 2001 par Jean (voix, textes) et Louima (guitares, machines), Summer malaxe indie-rock, électro et textes en français.
Après « Parler à tous ces gens » (LP/cdr, 2001) et « Comme dans Vertigo » (EP/cdr, 2003), Marion (claviers) intègre Summer pour quelques temps.
En 2007, Summer enregistre et mixe l’album « RDV Drague », au Studio de la Trappe à Toulouse grâce aux Indépendances de Sédières.
Par l’entremise du défunt Fabrice Ponthier, ce premier album officiel du groupe est réalisé par Michel Cloup. Le disque ne sortira qu’en 2010.
Suite à la bonne réception de cet album par la presse web et écrite, Summer enchaîne quelques dates puis repasse en studio pour enregistrer un quatre-titre nommé « Kimy Ep » (digital, 2011).
Un an plus tard, quasi jour pour jour, arrive un deuxième LP, « French Manucure ».
En juin 2014, Summer édite un nouvel EP, « Laura Gemser », afin d’annoncer un album pour 2015.
Le groupe a joué avec Matthieu Malon, La Féline, French Leisure, Rhume, Acetate Zero, Kap Bambino, La Veuve Electro, 202 Project, Carlosound, Sons of Frida, 5oclockinthemorning, Urine, Redjetson, I Like Trains…
Discographie
LP et EP
Parler à tous ces gens (2001)
Comme dans Vertigo (2003)
Luna Park (2006)
RDV Drague (2007)
Kimy EP (2011)
French Manucure (2012)
Laura Gemser EP (2014)
Liens externes
http://www.soundcloud.com/summer-paris
http://www.facebook.com/#!/pages/Summer/421994981204111
Contacts
contact@summersite.fr (technique)
Site officiel
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