Les 5 pochettes qui comptent pour… Pascal Blua.
Graphiste indépendant et fou de musique, Pascal Blua est parvenu à réunir son savoir-faire, sa passion et son bon goût pour réaliser les artworks de disques aussi classes que ceux de Peter Milton Walsh & The Apartments, Michael Head ou les 49 Swimming Pools. Il était logique qu’il inaugure cette série.
En demandant à Pascal quelles étaient les 5 pochettes de disques qui comptaient pour lui, je me doutais que l’on parlerait autant de musique que de graphisme, et qu’il faudrait peut-être aller un peu au-delà de 5…
« J’ai découvert le graphisme avec la pochette de l’album Never Mind The Bollocks des Sex Pistols. Un premier contact inoubliable, qui m’a fait découvrir simultanément : l’esprit de rébellion de la musique punk, la philosophie DIY (qui a dicté mon parcours professionnel), le graphisme (dont j’ai fait mon métier) et la typographie (dont je suis un fervent passionné).
J’ai grandi avec les vinyles et j’entretiens un rapport particulier avec les pochettes de disques, d’abord par passion, puis ensuite par déformation graphique professionnelle ! La pochette est pour moi une extension sensorielle de la musique et elle en fait partie intégrante.
Voilà donc les 5 pochettes et quelques… , qui comptent pour moi et qui restent des références dans mon panthéon personnel.«
Pascal Blua
New Order – Power, Corruption & Lies (1983)
« Lorsque l’album paraît, j’étais déjà sensible à l’univers graphique de Peter Saville et surtout à sa place et à son influence, en tant que designer chez Factory Records.
La pochette de Power, Corruption & Lies (Fact 75) est pour moi la plus belle pochette de Peter Saville, par la force, la subtilité et le mystère de l’univers graphique qu’il construit, et qu’il reprendra (avec quel brio !), sur la pochette du single Blue Monday.
Le classicisme de la peinture d’Henri Fantin-Latour côtoie la modernité froide d’un alphabet typographique en couleur, codé et imaginé par Peter Saville. Il nous faudra le déchiffrer, comme une porte d’entrée dans un nouveau langage. C’est au verso de la pochette, que se trouve la clef de ce mystérieux code, sous la forme d’une roue de couleur qui nous indique les correspondances entre couleurs et lettres. Maintenant tout le monde le sait, mais je me vois encore, recouvrir la pochette du disque d’une feuille de calque, remplir chaque case couleur par une lettre, et découvrir alors, les textes qui se forment sous mes yeux…
A cette époque, le groupe est libéré de l’héritage de Joy Division et il se trouve à un tournant de sa carrière. La modernité de l’approche musicale, et le concept visuel de Peter Saville, propulse le groupe vers l’avenir qu’on leur connait. Comment pouvait-on alors imaginer, que peu de temps après, le monde entier dansera (et danse encore) sur Blue Monday ? »
Broadcast – The Noise Made by People (2000)
« C’est par cette pochette que j’ai découvert le graphiste Julian House, dont le talent à de multiples facettes. Directeur artistique et graphiste au sein de l’agence créative londonienne Intro, il est aussi musicien sous l’alias The Focus Group, et également co-fondateur du label Ghost Box Music. Une triple casquette dont je rêve parfois !
Le style graphique de Julian House est très fortement influencé par le collage, l’esprit des Pulps, les motifs et les trames graphiques. Il est pour moi une parfaite illustration visuelle de la musique de Broadcast. Cette cohérence — entre l’image et le son — donne une sublime force visuelle et musicale à ce premier album. Le traitement graphique défini une esthétique électro-organique-vintage qui signe l’univers visuel de la musique de Broadcast, et que Julian House déclinera tout au long de la discographie du groupe.
J’ai d’abord acquis ce disque en CD. Mais ce n’est que lorsque j’ai pu mettre la main sur l’édition vinyle, que j’ai véritablement pris conscience de l’ampleur et de la force du travail graphique de Julian House, sur la pochette et le livret de cet album. La construction typographique, les rapports de couleur et d’équilibre entre chaque pages, le traitement des photos, définissent un espace graphique que le format CD a bien du mal a restitué.
Cela m’amène une fois de plus, à constater que « l’objet disque » ne peut prendre, pour moi toute sa dimension « physique », que dans son format vinyle. Sous cet angle, le format CD restera une éternelle frustration « graphique » pour moi. »
Kings of Convenience – Self titled (2000)
« Je me souviens très bien de m’être arrêté sur la pochette de cet album, alors que je fouinai dans les bacs « rock/pop » d’un disquaire canadien. La fraîcheur et la simplicité du visuel m’ont immédiatement tapé dans l’oeil. Je ne connaissais pas le groupe, ni le label et j’ai acheté ce CD sur un coup de cœur. Je suis un très grand fan des Kings of Convenience, et cette pochette reste pour moi, la plus belle de leur discographie à ce jour.
L’illustration de couverture est de Fredrik Saroea (du groupe Datarock), un ami issu de la scène musicale de Bergen (d’où sont originaire les KOC). L’illustration et le parti-pris monochrome de la pochette reflète parfaitement à mon sens, la musique du duo, délicate et ciselée (comme le trait), pleine d’espaces et d’harmonies, entre ombre et lumière. L’illustration, le tracklisting en couverture, la typographie un peu maladroite, m’évoquent le classicisme des premières pochettes illustrées du label Blue Note.
Dans le livre que consacre Orjan Nilsson à cet album, j’ai appris qu’Erlend Oye considérait cette version de l’album comme une version démo du futur Quiet Is The New Loud (d’ailleurs, quel titre !, sans doute mon titre préféré, tous albums confondus). Pour ma part, je continue de considérer cet essai comme un chef d’œuvre, tant sur le fond que sur la forme.
PS : je ne crois pas que cet album existe dans un format vinyle mais si jamais vous le croisez, faites moi signe ! »
The Housemartins – EPs (1985/1987)
« Les Housemartins ont cette finesse d’écriture pop qui les rend maître dans l’art de la mélodie imparable, des paroles engagées, une énergie proche de la soul sur scène et surtout cet incroyable mélange d’auto-dérision, de parodie et d’humour, comme seuls les anglais savent le faire. En seulement deux albums, accompagnés d’une poignée de singles et d’EPs (tous plus indispensables les uns que les autres), ils ont eu une carrière courte mais exemplaire selon moi.
C’est David Storey (aka Mr D Storey), graphiste puis Art Director pour les labels Chrysalis Records et 2-Tones (il a semble-t-il créé l’identité graphique du label en collaboration avec Jerry Dammers), qui signe l’ensemble des pochettes des Housemartins.
Dans les années 80, les formats single/ep sont très présents sur le marché du disque. Les Housemartins en publieront une dizaine, en moins de deux ans (avec de merveilleuses faces B, qui seront par la suite compilées). Les pochettes de David Storey installent, au fur et à mesure des parutions, un univers simple, graphique et extrêmement « lisible » où l’humour n’est jamais très loin… Pour preuve les stickers tels que « Includes The Smash Flop Single …… » en couverture, les textes au dos des pochettes, où le groupe invite les fans à décrire en quelques mots « pourquoi il aime les chansons » et à « donner une note sur 10 au single » ou encore avec à compléter la mention « This single belongs to:… ».
David Storey a ensuite poursuivi une carrière d’artiste peintre. Ses peintures ont d’ailleurs été récemment utilisées sur les pochettes du retour musical du chanteur-compositeur Paul Heaton (ex-leader des Housemartins, Ndr). Je suis quasiment sur, que ces deux là sont restés amis, depuis de nombreuses années ! »
Sarah Records (1987/1995)
« Créé à Bristol par deux jeunes étudiants Clare et Matt, Sarah Records fut au début des années 90, le label phare de l’indie pop. Durant ses huit années d’existence, le label publie près d’une centaine de singles/eps, quelques albums ainsi que plusieurs compilations et des fanzines.
Le label développe une forte signature graphique, essentiellement liée à des raisons économiques et inspirée des fanzines photocopiés de la période punk : les pochettes sont souvent sous forme d’une simple feuille pliée en deux, imprimées recto seul, en une ou deux couleurs. En plus du disque, la pochette contient parfois une carte postale, un poster plié en 12, ou encore un flyer discographique avec les dernières références, etc… Chaque sortie est soigneusement numérotée et la dernière publication portera la référence Sarah 100.
La discographie et l’esprit de Sarah Records sont pour moi un modèle d’engagement, d’amitiés avec les groupes, de cette volonté de partager ses passions avec le plus grand nombre, de la plus belle façon possible et de ne pas laisser ses rêves au placard par manque de moyens. Comme le dit Charles Bukowski : « Style is the answer to everything » (Love is a Dog from Hell). »
Pascal Blua
Vous pouvez retrouver le site et le blog de Pascal Blua ici : MouseDesign by Pascal Blua et là : Stereographics.
Ainsi que l’article que je lui avais consacré l’année dernière : Something On Our Mind.
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