L’envol de Gisèle Pape.

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© Matthieu Dufour


La musique de Gisèle Pape nous ressemble. En apparence. À la première écoute. L’espace de quelques secondes, il y règne une ambiance familière, on dirait la chanson d’une bonne copine, un air caressant et bienveillant qui nous accompagnerait depuis toujours. Mais rapidement, l’air se charge d’une tension plus ambiguë, plus cinglante, moins évidente. Un voile se lève, laissant apparaître des formes aux contours flous, laissant passer des effluves lunaires, exotiques. En fait, la musique de Gisèle Pape est singulière et ne ressemble qu’à sa créatrice. Là où beaucoup d’entre nous se contentent de fantasmer la nuit de vieilles envies de bizarrerie, d’évasion et de voyages imaginaires, Gisèle s’affranchit des carcans, des routes tracées et de la rumeur pour partir à la rencontre de ses propres désirs. Comme si les contraintes supposées de l’âge adulte n’avaient pas de prise sur elle. Impossible bien sûr, mais à cette période de la vie où nombre de ses contemporains se sont déjà débarrassés des oripeaux de leurs premières années, Gisèle a de toute évidence gardé des liens profonds et des connexions intimes avec tous les mystères de l’enfance. Peut-être a-t-elle trouvé dans sa « pièce à musique » un passage secret vers d’autres mondes… Dans son univers en effet, se côtoient des rêves par définition étranges (ni complètement effrayants, ni vraiment rassurants), des fantômes, des âmes voyageuses et anciennes, des associations improbables. Elle malaxe le langage comme de l’argile, sans crainte de se faire réprimander pour cause de mains sales, elle joue avec les matières, avec tous ses sens et avec les nôtres. Résultat, une musique cinématographique à la fois sensuelle, intelligente et sensible, une musique à ressentir, à toucher à voir, autant qu’à écouter. Au détour d’un refrain, elle fait resurgir une odeur familière ou un visage que l’on croyait oublié. Gisèle possède le côté savant fou des enfants touche-à-tout qui fabriquent une fusée avec le capuchon d’un Bic et l’envoie explorer une planète faite de coques de noix et de feuilles de Ginkgo Biloba. Elle est animée par un feu bien plus puissant que les contingences de notre quotidien. Ce besoin, cette nécessité de chercher, de créer. Capable de passer trois jours sur son synthé pour une ligne de basse, elle avance à son propre rythme, elle marche sur son propre tempo, comme déconnectée de notre système horaire. Son goût pour les synthétiseurs remonte vraisemblablement à son enfance : c’est en effet au conservatoire de Belfort qu’elle s’initie à l’orgue liturgique, instrument complexe, fascinant et dont les principes et les motifs continuent d’irriguer son travail en filigrane. Si la musique est présente dans sa vie depuis cette époque de l’insouciance rêveuse, c’est d’abord vers le cinéma et la technique qu’elle s’oriente à l’École Louis Lumière où elle travaille notamment sur le cadre et la lumière (lumière qui irradie sa musique sous mille nuances). Gisèle est une chercheuse. Sa curiosité, son envie de mettre les mains dans le cambouis la pousse ensuite vers la régie. Tel son volatile de totem, elle construit son identité artistique patiemment, comme un nid, brindille après brindille, mousse après mousse, écorce après écorce, n’hésitant à flâner en chemin, à prendre son temps pour admirer une fleur en train d’éclore ou une abeille en train de butiner. Ce n’est jamais du temps perdu. Juste une expérience de plus. Alors théâtre, danse, harmonie, chant, clavier, guitare, Gisèle ne s’arrête jamais, elle veut tout apprendre, tout savoir, tout comprendre. Il ne faut pas se fier à sa frêle et douce apparence. Mue par une forte envie de maitrise, l’idée précise qu’elle se fait de ses créations finit toujours par l’emporter. Fatalement, un jour il fallait qu’elle plonge en elle-même pour y chercher matière à composer des chansons. Le grand saut. Sans pour autant s’arrêter de tester. Elle monte sur scène, à deux, à trois, selon les contraintes, les envies. Puis ne voulant pas se contenter d’un rôle de Madame Loyale d’un groupe, désireuse de garder le plaisir elle trace sa route seule. Une route qui l’amène en finale du Grand Zebrock 2017 et en tournée avec Vérone, d’autres amateurs de miniatures soignées. Un premier EP remarqué qui s’accompagne d’un véritable univers : pochette, clips, jusqu’aux contreparties pour ceux qui ont contribué à financer le disque. Des cadeaux faits main, des « usines à gaz » selon ses propres mots. Un truc qui remonte à loin. Étudiante déjà, elle ne pouvait pas s’empêcher de se lancer dans des expérimentations sans trop savoir où ça allait la mener. Gisèle se retrouvait alors à boucler ses travaux la nuit. Couturière musicale, brodeuse de comptines pour adultes, Gisèle suit les battements de son pouls dans un artisanat haut de gamme et résolument contemporain. Aventurière du minimalisme, exploratrice jamais rassasiée de nos intimes, Gisèle prend son temps mais y va surement. Petit à petit Gisèle fait son œuvre.


© Matthieu Dufour


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