Étienne Daho – eden daho tour – Salle Pleyel (23 décembre 2019)

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“SORRY GUYS. NOT DEAD YET !” scande Étienne Daho à la fin de son (excellent) EDENTOURDIARY du 16 décembre (un journal de tournée publié sur sa page Facebook), après une nouvelle rumeur l’envoyant aux portes de l’enfer, quelque part dans le Nord de la France. Comme s’il était écrit là-haut au paradis que rien ne serait jamais facile pour ce disque. Que même deux décennies plus tard la tournée ne serait pas épargnée par les coups du sort. Que rien ne serait jamais acquis pour ce magnifique OVNI musical qu’est Eden. Magnifique et prophétique, car tout n’est peut-être que recommencement depuis la nuit des temps.

Mais il faudrait bien plus que des fakes news ou des problèmes de sonorisation pour empêcher Daho de propager la bonne parole auprès de fans toujours plus en demande de leur dose d’amour, de sensualité suave et de plaisir. Car c’est lui qui dicte ses propres lois. Il en a toujours été ainsi depuis le jour où il a pris son destin en main. C’est lui, le maître des sortilèges, le combattant édeniste, le guerrier jamais vaincu qui se présente une nouvelle fois dans une salle Pleyel prête à exulter. C’est lui qui nous regarde droit dans les yeux et nous appelle à y croire comme au premier jour du reste de notre vie. C’est lui qui apparait soudain, dressé face au danger, fier soldat de la rue, et toujours le poing levé. C’est lui l’idole bienveillante qui impose une fois encore les mains sur une foule debout, amoureuse et chaloupant dès les premières mesures d’au commencement. En plein coeur de la nuit, le voilà donc qui revient, brillant de mille feux. Prêt à en découdre. Encore et encore.

Suivant son instinct et ses envies (les plus essentielles), Daho ne fait jamais les choses à moitié. Reprendre, dans l’ordre, un album accueilli tièdement à sa sortie, convoquer Résérection à la set-list et faire une reprise de Yoko Ono (Walking On Thin Ice) en rappel, est déjà un sacré pari. Inviter les décapants Moïse Turiser en première, n’est pas moins gonflé si j’en juge par la stupeur qui s’empara de mes voisins dès les premières notes de cette transe électro-psyché-noise-punk d’une violence sourde. Des voisins sonnés après trente minutes d’une prestation soniquissime, une claque d’une force effarante. Mais 40 ans presque jour pour jour après avoir faire monter les Stinky Toys sur scène à Rennes, ça avait franchement de l’allure..

Car bien évidemment, depuis que le monde est monde, Daho n’est pas cette icône lisse que certains ont voulu postériser. Non,  Daho a toujours été ce « popagandiste » subversif, ce réévolutionnaire libertin qui prêche le plaisir, la curiosité, le lâcher-prise, les chemins de traverses et la liberté. Une subversion d’autant plus d’actualité que le monde autour de nous s’enfonce dans un magma hygiéniste d’interdits de tous genres. Une subversion que les textes d’Eden laissent éclater au grand jour dans ce bel écrin de Pleyel. Depuis ce « nouveau monde où l’on ignore le péché » (au commencement) jusqu’aux « sugar daddy », « p’tits rois », « p’tites reines » et leurs « zones érogènes » (quand tu m’appelles eden), en passant par les rendez-vous au jardin des plaisirs, tout dans cette soirée appelle à l’amour, et pas uniquement platonique. Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’un heureux événement vienne dans neuf mois rappeler au jeune couple qui se trémoussait juste devant moi sur l’enfer enfin qu’ils se sont aimés très fort ce 23 décembre…

Un peu plus d’un mois et une douzaine de dates après La Philharmonie, le groupe, plus soudé et complice que jamais, assure avec classe et brio ce mélange détonnant de ballades fiévreuses, de bossa rêveuse et d’électro contagieuse. Daho est serein, bavard, radieux. Les non-tubes s’enchainent avec la grâce harmonieuse d’une danse nuptiale tribale. La salle monte en température à chaque envolée de cordes, elle se transforme en club sous les assauts stroboscopiques des subs et des déhanchements du chanteur. Des clameurs saluent les pluies chaudes de l’été, l’enfer enfin, ou soudain. Daho donne, donne et donne encore.  En cœur et encore la salle se soulève, ondule, le sol gronde, en chœur et en corps, la salle vacille, chavire. Personne ne peut croire que la fin a sonné alors qu’arrivent des adieux très heureux.

« Et c’est alors que supposément blessé par le commun des mortels,
qu’en habit pourpre et net,
de mes cendres fiction,
pour l’encore inconnu,
attendu… »

Il résérecte encore et encore, pour moi, pour toi, pour vous, pour nous tous. Alors les gens se rapprochent les uns des autres, les regards se croisent, les paupières clignotent, les corps se frôlent, les mains de serrent, les silhouettes et les ombres chinoises fusionnent, les baisers français trouvent leur chemin. Fusion. La communion est totale jusqu’à ce que résonnent les dernières mesures d’un gigantesque Get Off My Case qui n’a jamais sonné aussi moderne que ce soir. Parce qu’il est impossible la veille du réveillon de Noël de se quitter comme ça, le groupe reste un peu pour apprécier l’ovation de Pleyel. Outro, les Ronettes, l’esprit de Noël.

La magie Daho a opéré une fois de plus. Nous voilà lâchés dans la rue remplis de cette envie de tout reprendre à zéro depuis le début, le cœur et la chair gonflés de saudade, l’âme vaillante et le cerveau gorgé d’hormones de bonheur. Pas besoin de mots, les sourires en disent long.

Comme une impression d’éternité, de paradis retrouvé.

Tous les espoirs nous sont permis, puisque nous sommes envie.


© Matthieu Dufour


 

 

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