Étienne Daho – Anti-Playlist.


Tombé pour la France, Le Grand Sommeil, Ouverture, Épaule Tatoo, Week-End à Rome, Saudade, …, la liste des tubes multi-platinés est longue. Si le succès de ces morceaux semble logique tant leur évidence s’impose à nos oreilles (cette capacité de l’artiste à imaginer des chansons qui sonnent immédiatement comme des classiques irrésistibles et résonnent en nous), il laisse parfois dans l’ombre d’autres compositions tout aussi superbes. Voici donc une anti-playlist, totalement subjective, une chanson par album studio (en incluant Tombé pour la France et Résérection, plus un titre bonus), quinze titres qui, pour moi, auraient aussi mérité leurs heures de gloire.


« je m’raconte des histoires, à dormir debout, j’suis l’premier à tomber dedans »

Chanson titre du premier album de Daho, Mythomane fut pour moi le début de cette longue histoire. Chanson matrice, j’y trouve déjà tout ce que j’aimerai plus tard chez lui. Une mélodie immédiate, portée par une voix suave et proche qui s’insinue dans les moindres recoins de mon être, derrière la simplicité apparente, un paysage sonore intime et vaste à la fois. Ce texte que j’aurais aimé signer si j’en avais eu le talent, des mots qui filent un coup de vieux aux mastodontes de la chanson d’ici. Et ce sax… Coup de coeur jamais démenti.


« Lolly attends-moi, je reviendrai bientôt »

Le deuxième album du chanteur me frappe en plein coeur juste avant mes 17 ans. Au-delà des tubes éternels (Week-end à Rome, Sortir ce soir, Le Grand Sommeil) repris en coeur lors des concerts, derrière la pochette iconique signée Pierre & Gilles, un album magique comme un moment de grâce, comme un premier baiser, une soirée suspendue, la chronique d’une saison infinie entre fêtes et parades amoureuses. Troquant Saint-Lunaire pour Carnac et Sables d’Or pour les criques du Finistère Sud, je me replonge dans ces étés qui s’étirent en virées nocturnes et dragues malhabiles. C’est la première fois que les mots d’un chanteur français me parlent autant. C’est la première fois que la pop sonne aussi bien dans cette langue que je chéris. Parmi tous ces titres que je peux encore fredonner par coeur, Signé Kiko, chanson d’orfèvre à la mélodie divine et au charme légèrement désuet, reste pour moi un hymne inégalable qui parsème mes lettres de séparation et d’exil. Celles qui ne reçoivent pas de réponses. Presque 30 ans plus tard, le charme opère toujours.


« Edie se lasse et traverse le miroir »

Peut-être la chanson que je préfère dans sa discographie. Avec ce morceau extrait du mini-album Tombé pour la France et qui rend hommage à l’égérie d’Andy Warhol, la sublime et tragique Edie Sedgwick, Daho continue à façonner une pop en français, élégante et subtile, référencée mais personnelle. Ce « désordre qui ressemble à un départ », beau et triste à la fois me fend encore le coeur à chaque écoute. Une compagne de saudade parfaite. Immortelle comme une icône.


« seul dans cet hôtel à Londres, me morfondre »

Disque de chevet, au moins autant que le précédent, Pop Satori épouse idéalement ces années d’épiphanie situées au mitan des années 80. Fêtes, excès, fraternité, insouciance, et premiers émois sérieux, de ceux qui retournent. L’impression de vivre enfin, d’être là avec ces quelques personnes qui m’ressemblent, d’être vraiment présent. Ressentir chaque instant, les plus sombres comme les plus joyeux. Vivre pleinement la magie des rencontres qui changent la vie, « à la nuit se fondre » même si l’on sait déjà qu’il faudra un jour « chercher ailleurs quelqu’un qui t’ressemble ». Éternel.


« pauvres James Dean traînent boulevard du crime« 

Composée pour le film Désordre d’Olivier Assayas, Soleil de Minuit permet à un Daho plus sombre de mettre en scène quelques fantasmes et mythes qui l’habitent. Une chanson pour rêveurs nyctalopes qui peut se transformer sur scène en transe hypnotique comme ce fût le cas un soir de novembre 2014 à L’Olympia.


« memories fade away« 

Sur cet album usé jusqu’à la corde, toutes les chansons me sont chères. Bande son d’un été sans fin, noyé dans le gin et le tonic pour tenir compagnie au chagrin d’un ami précieux, il m’arrive encore parfois d’avoir envie de verser une larme sur Affaire classée ou Des heures hindoues. Ce duo avec Laurie Mayer (Torch Song) est une madeleine de Proust aigre-douce, à la mélodie imparable. Enfin pour moi.


« je laisse les vipères siffler sur ma tête »

J’adore cette chanson, probablement mineure dans l’ensemble de sa discographie. Elle me met en joie, me donne l’impression que tout est encore possible quand Daho chante « Comme deux torches dans la nuit nouvelle toi et moi, préparons à deux notre vie nouvelle et dis moi, tout ce que tu veux tout ce que tu ne veux pas ». À chaque fois « j’ai le coeur qui bat« …


« j’entrouvre les portes de ma prison« 

Non Daho n’est pas mort. Il est bien vivant, il résérecte encore et encore, la preuve en cinq titres au carrefour de ses influences et en coeur avec les classieux Saint Étienne. Ce titre transpire de sensualité façon Daho. Torride.


« les fados étranges des amis perdus qu’on ne reverra plus »

Ma chanson préférée de cet album enfin réhabilité lors d’une tournée à guichets fermés, l’eden daho tour. Une chanson intense, fiévreuse, qui colle à la peau et donne envie de se jeter à corps perdu dans une nouvelle passion amoureuse. En boucle.


« Ce soir, la lune est pleine et la mer est argent »

Il y a dans les albums de Daho une saisonnalité précise ou fortement suggérée. En s’immergeant dans ses albums on a souvent l’impression de plonger avec lui à corps perdu dans un été brûlant ou l’envie de se calfeutrer tout un hiver pour mieux renaitre au printemps suivant. Corps et Armes c’est un été, entre Vedra et « ce brasier qui ne s’éteint pas« , rempli de pépites toutes plus belles que les autres. Souvent délaissée au profit de chansons immenses comme La Baie ou Ouverture, San Antonio de la Luna est pourtant une sublime composition, comme les anciens Valentins, Édith Fambuena et Jean-Louis Piérot savent si bien les écrire. A tomber.


« Traverser Paris en courant sur la seule magie de l’instant. »

Là encore, tout le génie de Daho, même sur une chanson qui peut paraitre plus anecdotique, pour nous transporter dans cet état de renaissance qui nous emporte parfois quand la douceur du printemps vient réveiller nos ardeurs et nous libérer des gerçures de l’hiver. Montée de sève.


« Les orages de l’été et la valse folle de ton ombre. »

Merveille encore, que cette chanson qui cloture L’Invitation. Solaire, lumineuse, intense, Cap Falcon est évidemment un retour à la source, là où tout a commencé, le juke box, la chaleur de l’Algérie, les échos et les éclats d’une guerre qui ne dit pas encore son nom, la famille et bientôt l’exil. Une ballade à la beauté poignante qui fait revivre l’espoir et vibrer la vie. Chairdepoulesque.


« apprendre à coups de crosses et de cheveux tondus »

Si Daho évite soigneusement les pièges de la chanson « engagée » depuis les débuts de sa carrière, il arrive parfois qu’un morceau se fasse l’écho d’évènements extérieurs. Mais l’on retrouve surtout dans ce morceau poignant, un écho à cet incroyable instinct de survie de l’artiste, cette rage de vivre coûte que coûte, cette énergie pour « parvenir de l’autre côté, et vivre vaille que vive »… Magnifique chanson.


« À Montparnasse fiévreux, les oubliés de Dieu. »

Depuis ses débuts, le chanteur joue avec ses fantasmes et les nôtres, multipliant dans ses textes ambiguïtés et sens multiples. Sexe et amour, corps et âmes, chairs et coeurs s’entremêlent dans de joyeuses valses qui laissent libre cour à nos imaginations fertiles. Un exemple particulièrement réussi avec cet extrait de Blitz qui se termine sur un halètement dont on ne saura jamais s’il est celui d’une jouissance ou d’un bout de course. Probablement les deux. Le tout sur une mélodie pop aux accents de cabaret, de liberté et de folles années. So Daho.


« Come to me slowly and make love to me. »

Je me suis déjà beaucoup exprimé sur Surf, ce superbe album de reprises qui en plus de rappeler que Daho est un grand interprète, a le mérite de remettre un coup de projecteur sur des merveilles oubliées comme ce scintillant Come to Me Slowly de Margo Guryan.


© Matthieu Dufour