Chronique – Robi – La cavale.
Après un premier album remarqué et des débuts accompagnés d’un name-dropping qui aurait pu la mener vers la tentation d’une ouverture, d’une surenchère de parrains, et de collaborations, quitte à y noyer sa singularité dans une recherche de lumière, Robi a préféré le recentrage dans l’ombre de ces premiers pas et s’occuper de (presque) tout comme une grande. Pas comme on s’isole par peur ou dégoût des autres mais comme on se teste pour voir ce qu’on a dans les tripes. Je crois que la démarche artistique est par essence une démarche individuelle qui parfois percute d’autres trajectoires. Mais à un moment, il faut bien descendre en soi pour voir ce dont on est capable. Et pour accomplir ce parcours il faut se délester, voyager léger, évacuer le superflu, ne garder que l’essentiel : une voix, un souffle, une envie, une fêlure, des doutes et quelques instruments. Comme La Féline dans un autre genre, Robi épure, dégraisse, et parfois même attaque l’os à l’instar de ces écrivains américains à la gomme folle qui cherchent la phrase la plus juste et éliminent la moindre trace de matière non nécessaire. Alors elle scande, elle détache, elle prend son temps, les pauses et les silences ne lui font pas peur. Ne gardant que l’indispensable, Robi affine ses compositions pour toucher de sa voix une forme de vérité, celle qui émeut, celle qui remue. Quelle bonne idée ensuite de faire appel à Katel dont le travail sur le bel album de Maissiat témoignait déjà de sa capacité à trouver le juste milieu entre émotion nue et apparats discrets d’une production qui n’étouffe pas.
Une fois de plus les genres, les influences, les références importent peu : Robi trouve sa place en assumant un « chanter français » en clair-obscur, en mixant instruments et machines dans une ambiance terriblement envoutante. Un dépouillement volontaire qui permet de ne pas enfouir l’émotion sous des couches d’arrangements façon pâtisserie autrichienne. Parfois des guitares s’énervent, une basse nous rappelle le principe de la gravité et des machines sous acides nous prennent par la main, mais sans jamais venir empiéter sur la musicalité de mots portés par une voix ample, douce et tranchante à la fois, cinglante et enrobante. La gestion des contraires et des paradoxes semble être une seconde nature pour l’artiste qui, telle une alchimiste des temps modernes, marrie chanson française, new-wave martiale et électro-pop, délaissant les enluminures boursoufflées à d’autres. Se fichant des canons de l’époque elle ose une mise à nu qui paradoxalement la met à l’abri d’une exposition trop grande. Boucles répétitives, rythmes hypnotiques, cette voix tourne autour de nous dans une espèce de danse incessante, elle procède par cercles concentriques qui se rapprochent pour mieux nous faire lâcher prise avant de nous planter un morceau de verre acéré dans la peau. Tel un bourreau maitrisant à la perfection les techniques de la torture mentale, elle joue avec nos nerfs et une tension vive mais tenue. Et nous, victimes d’un syndrome de Stockholm musical aggravé, nous coopérons sans la moindre résistance espérant même que les secours n’arriverons pas trop vite nous laissant dans les filets de cette prêtresse païenne.
De L’éternité à La Cavale, mon cœur, mon corps et mon âme chevauchent sans fléchir des ombres inquiétantes, ils parcourent au galop les steppes trouées de lumières de mes guerres intestines, ils survolent des routes en friche, des villes à l’abandon dans une longue et passionnante errance, nue et claustrophobe. Une vie qui file et que reste-t-il quand arrive la dernière heure, que la course s’arrête ? Quelques nuits de fête, un peu d’amour pour lequel on est tombé, quelques danses et des étoiles attrapées, quelques choix esquivés, quelques moments dont on a profité dans l’instant, portés par le vent qui tourne, mais quand on se retourne, à part les ombres et les souvenirs reconstitués, déformés, pas grand chose. Comme un sentiment d’absurdité.
Alors on refait le chemin une fois encore, on redescend en soi et là, même si on s’en doutait un peu c’est le foutoir, rien n’est aussi tranché, précis, clair que les gens ne veulent bien le prétendre : il y a des ombres plein la lumière, des sanglots dans les rires, des peurs derrière les sourires, des espoirs dans l’amertume, il y a cette ligne au fond de chacun, cette frontière invisible que l’on traverse au gré des rencontres et des humeurs, ces doutes évidents, ces certitudes incertaines, et ce putain de fil sur lequel on passe sa vie à avancer essayant juste de ne pas basculer trop souvent dans le vide. La vie quoi.
Servi par une esthétique globale, minimaliste mais riche de détails, l’album de Robi est peut-être plus nuancé que le précédent opus. Il file le long de phrases agencées à coup de mots collés avec cette façon singulière de les faire parler, dialoguer en écho. Un peu comme un enfant dont la langue ne serait pas encore trop policée, trop réglementée, trop cadenassée, un enfant qui s’autoriserait des associations spontanées, ludiques, et pour qui les oxymores ne seraient pas un problème mais plutôt une solution. Robi accouche ainsi d’une langue subtile qui laisse la place à l’imagination, à l’interprétation. De ces textes à sens multiples (dont je doute que l’auteure elle-même ne connaisse précisément toutes les dimensions), nait une poésie singulière. On n’est pas dans le narratif mais dans l’émotion pure, la musicalité de la langue.
Le tracklisting de l’album est déjà, à quelques ellipses près un poème en soi.
L’éternité c’est
Etre là et
Devenir fou
Pour une Nuit de fête
Danser avec
Le vent là
À cet endroit
Dans Le chaos
M’accrocher A toi
Et Par ta bouche
Annoncer enfin
La cavale
Alors bien sûr on croit percevoir quelques idées, quelques obsessions, des lubies auxquelles on viendra greffer les siennes en trainant dans les vallées recouvertes de neige d’un amour dévasté : le temps qui passe, les illusions figées, les destins contrariés, la vie qui file pleine de vide, transpercée de quelques rares élans joyeux et festifs. Rarement l’expression souffler le froid et le chaud n’aura été aussi juste. Rarement la mélancolie n’aura été si bien chantée. Fuite en avant, La cavale c’est ma vie. Une cavale courte et dense, cohérente, au rythme d’un cœur qui bat, se pose, s’apaise puis s’emballe jusqu’au point de rupture. Mais si la tristesse affleure un peu partout elle semble moins énervée, moins rageuse que sur le premier album ; c’est probablement du à cette nudité plus poussée, une forme de spontanéité plus crue. Une cavale sensorielle, sensuelle, charnelle et cérébrale à la fois. L’air est souvent frais et pourtant qu’est-ce qu’on y est bien. Mais sans cette aura austère, ce charisme anguleux, tout cela serait bien fade, or la chanteuse exerce une fascination évidente qui devrait se renforcer auprès de ceux qui se laisseront pénétrer par la musique de cet album magnétique.
En cavale d’une chanson française parfois trop prévisible, trop stéréotypée, en cavale d’une route tracée qui n’était peut-être finalement pas la sienne, en cavale de choix trop évidents, Robi se fait la belle et poursuit sa fuite en avant. Mais sur son passage elle sème des traces de beauté, laisse l’empreinte de ses virées immobiles. Alors laissons-la cavaler. Aidons la à trouver des planques si besoin. Soyons ses complices. C’est bien évidemment en liberté qu’elle nous enchantera encore.
Matthieu Dufour
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