Interview – Nathalie Réaux (Pagan Poetry).
Quand t’es-tu rendu compte du pouvoir magique de la voix, de ta voix ?
J’ai très tôt eu l’intuition que la voix était un medium puissant pour véhiculer des émotions, au-delà même des mots. J’ai toujours été sensible à la vibration des voix, à tout ce qu’elles portent en elles, tout ce qu’elles dévoilent de notre histoire, notre personnalité. D’ailleurs je suis tellement fascinée par cet outil qu’en parallèle de mon métier d’artiste, j’anime des ateliers, dans lesquels je mets en lumière la relation intime entre la voix et la circulation des émotions. Il est possible d’entendre dans une voix les émotions bloquées, cristallisées. La bonne nouvelle, c’est que grâce à un « travail » sur la voix, on peut libérer ces blocages, guérir, démêler les nœuds qui entravent l’expression de soi. On a pour coutume de dire que les yeux sont le miroir de l’âme. Dans ce cas, j’aime penser que la voix est une fenêtre ouverte sur l’essence de notre âme. J’ai donc été mon propre cobaye pendant de longues années, j’ai visité les différents espaces vibratoires de cet instrument, j’ai écouté quelles émotions me procuraient tel ou tel son, puis j’ai eu envie de transmettre mes sensations, que ce soit à travers ma propre voix ou à travers les ateliers que j’anime.
Comment es-tu arrivée à la musique, comment as-tu démarré ?
Mes parents estimaient qu‘il était essentiel d’avoir une activité sportive et une activité artistique. J’ai donc commencé par faire deux ans de saxo, puis, comme mes grands-parents avaient un piano dans leur maison, je me suis mise au piano. En parallèle, j’ai très tôt découvert le plaisir de chanter. J’aimais la sensation de liberté que ça me donnait. C’était également à l’époque une façon de faire ma place, de me démarquer, de définir une part de mon identité. Mais je crois que la musique est venue à moi encore plus tôt. Je sais que ma maman a écouté beaucoup de musique classique lorsqu’elle m’a portée (principalement du Chopin que j’affectionne particulièrement) et je crois que ça a eu un réel impact sur moi.
Comment est née l’idée de Pagan Poetry, comment cet univers s’est-il construit ?
Je crois que les racines de Pagan Poetry sont nées suite à un moment assez mystique que j’ai vécu lorsque j’avais 8 ans. Je ne l’ai réalisé que très récemment finalement. Mais je crois que tout a démarré là. Ensuite, il m’a fallu trouver les outils mais aussi la maturité pour le dire. Pagan Poetry, c’est le résultat d’un long cheminement intime, nourri d’expériences particulières en lien avec le monde de l’invisible. Je ne cherche absolument pas à faire de prosélytisme mais j’ai juste eu envie de partager la façon dont je vois, ou plutôt la façon dont je ressens le monde lorsque je me branche sur ses dimensions subtiles. Nous sommes loin d’avoir exploré toute la magie de cet univers. Tous les jours, nous découvrons de nouvelles choses qui nous auraient paru invraisemblables il y a peu. La physique quantique, par exemple, offre des perspectives qui n’ont pas fini de nous étonner. En ce sens, je rejoins cette citation d’Einstein « Il est absolument possible qu’au delà de ce que nos yeux perçoivent se cachent des mondes insoupçonnés ».
C’est un univers global, pas uniquement de la musique, c’est important pour toi ou une façon de te mettre en retrait derrière ?
En effet, le propos de Pagan Poetry dépasse le cadre de la musique. Pagan Poetry c’est mon alter ego, mon extension poétique, philosophique, mystique. C’est donc une affirmation plus qu’une mise en retrait.
Tu fais partie de nombreux projets en dehors de Pagan Poetry, comment gères-tu cela ?
Cela me permet de trouver un certain équilibre. Il n’est pas toujours évident de porter un projet à bout de bras. Par conséquent, cela me fait beaucoup de bien de me mettre au service d’autres projets dans lesquels je ne suis pas le moteur principal, tout d’abord parce que j’y apprends beaucoup de choses, mais aussi parce que je peux avoir plus de recul et faire mon métier de façon plus sereine.
Est-ce que tu arrives à préserver le temps qu’il faut à ton projet personnel ?
J’avoue que ce n’est pas toujours évident. D’autant plus que je suis plutôt de nature entière. Ce n’est pas toujours aisé pour moi de passer d’un projet à un autre d’un claquement de doigt. En particulier lorsque je dois me replonger dans Pagan Poetry. C’est un projet gourmand en énergie, qui me demande d’être dans des dispositions particulières pour le faire rayonner tel que je le souhaite. Quoiqu’il en soit, j’essaie de ne plus culpabiliser de tout ça. Je me dis que chaque chose trouvera sa place, en temps voulu.
Quelques mots sur l’aventure avec Miossec ?
Le mot qui me vient, c’est « cadeau ». Cette tournée est arrivée comme un cadeau de la vie. J’avais besoin de souffler, de me recharger de toute l’énergie que j’avais mise pour le premier EP de Pagan Poetry. La tournée de Miossec est une vraie source d’épanouissement pour moi. Je m’y sens respectée en tant que musicienne et en tant que personne. Miossec est un homme d’une grande bonté. Ça rejaillit donc sur toute l ‘équipe, musiciens et techniciens. Je suis chanceuse de faire ce métier aux côtés de cette équipe.
Et de façon plus générale, on peut dire que j’ai vraiment été gâtée dans mon parcours jusqu’à présent : travailler aux côtés d’artistes tels que Claire Diterzi, Nosfell, Fiodor Dream Dog, Syd Matters, Olivier Libaux, … ça vous tire vers le haut.
Pas facile d’émerger aujourd’hui, quel est ton rapport à la promotion de ton travail ?
La promotion est pour moi tout aussi excitante que déroutante. J’ai de grandes envies et de l’ambition pour Pagan Poetry. Je fais régulièrement le vœu que ma musique voyage de la plus belle manière qui soit. Le challenge pour moi, c’est de faire grandir ce projet en respectant mes convictions. Et parfois, je me sens en contradiction avec le marché de la musique, les demandes des décideurs qui nous parlent de tubes, ou de marketing, en omettant parfois la notion de développement et de temps nécessaires. De plus, j’ai la sensation que Pagan Poetry n’est pas dans la mouvance actuelle des attentes des labels et autres en France. Je suis un peu en décalage, hors mode. Par ailleurs, ma musique est plus nourrie par la musique anglo-saxonne que par la chanson française. Depuis peu, je me demande s’il ne faudrait pas que j’aille voir un peu plus loin, à l’étranger.
Pour revenir à la promotion, la contradiction se trouve aussi dans le fait que c’est au début des projets que l’on a besoin de soutien, de visibilité, de moyens de se faire connaître. Or, on est quand même un peu limité lorsqu’on navigue en autoproduction, ce qui est mon cas. Pour ma part, je vois plus les choses dans une globalité. Avoir un projet artistique, c’est un projet de vie, ça demande du temps pour chercher, s’égarer parfois, puis éclore, s’étendre, se révéler. Et paradoxalement, nous vivons dans une société qui prône trop souvent l’immédiateté, l’efficacité.
J’aimerais trouver la structure professionnelle idéale, les accompagnants idéaux qui me donneraient les moyens de faire rayonner Pagan Poetry, sans tomber dans les travers de la musique-marchandise. J’aimerais vivre de mon art, de mes créations tout en respectant mes convictions. Notons bien que quand je parle de structure, je ne parle pas forcément de gros labels. Je crois que l’industrie musicale est en train de se transformer. Le pont entre les artistes et le « public » est de plus en plus direct. Les sites de crowdfunding en sont la preuve. Il me semble que nous avons besoin de revenir à quelque chose de plus relié, de plus authentique.
Je trouve parfois dans ton travail vocal, ou dans les arrangements un petit goût de « musiques du monde », au sens positif : quelque chose comme un vocabulaire musical universel, tu es sensible à d’autres cultures musicales (Afrique, Asie, …) ?
Oui, en effet, je m’intéresse à la musique du monde. C’est une source intarissable. Je ne peux pas dire que je suis une spécialiste mais voilà, de temps en temps, je vais aller écouter sur le web les musiques traditionnelles d’un pays, pour les découvrir. Par ailleurs, j’adore trouver des petits instruments d’origine diverses pour composer (Kalimba, autoharp, etc.). Ces instruments portent en eux des couleurs musicales et me donnent donc une direction de création. Puis je les mélange à des instruments plus classiques (cordes, piano etc…). En fait, pour résumer, j’aime le métissage des genres, peut-être parce que je suis moi-même métisse.
Pour finir, j’aime l’idée que la musique est un langage en lui-même. Je compose la musique avant d’écrire les textes. Et bien souvent, la musique me raconte déjà sa propre histoire. Ensuite, j’essaie de trouver les mots qui l’épousent au mieux. Bien sûr, je ne dis pas que les mots n’ont pas leur importance, mais je sais que la musique porte déjà en elle son propre propos. La preuve la plus évidente pour moi, c’est que, comme j’ai choisi d’écrire mes textes en anglais, certains auditeurs ne s’attardent pas sur les textes pour diverses raisons. Et pour autant, lorsqu’ils me parlent de ce qu’ils ont ressenti, c’est souvent très proche de l’intention et de l’émotion que j’ai voulu transmettre dans la chanson.
Au-delà de références qui semblent assez évidentes (Kate Bush, Björk, Émilie Simon peut-être) quelles sont tes principales influences, ou tout simplement tes goûts musicaux ?
En effet je trouve Kate Bush fascinante. Cette liberté qu’elle dégage m’attire énormément. Et c’est une créatrice fabuleuse, à plein de niveaux. Idem pour Björk et tant d’autres. J’aime les artistes singuliers, avec une forte identité, un univers très marqué : Shara Worden (My brightest Diamond), Sufjan Stevens, St Vincent, Son Lux, Laura Mvula etc. Je suis également très sensible à la musique américaine minimaliste (Steve Reich, Philip Glass…) et à la musique de film (John Barry, Danny Elfman…). Mais mes influences ne sont pas seulement musicales. Elles sont aussi littéraires, scientifiques, photographiques, cinématographiques, philosophiques. Tout ce qui m‘émeut me nourrit.
Il y a beaucoup de projets de qualité en France en ce moment, tu tournes, chantes et joues dans des projets différents, quels sont les artistes dont tu te sens proche ?
Ça dépend de quelle proximité on parle. D’une certaine façon, je me sens proche de tous les artistes qui cherchent à faire vivre leur musique, avec leurs propres moyens. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’à chacun de mes concerts privés, j’invite un artiste à me rejoindre et à chanter un de ses titres afin que les personnes qui suivent Pagan Poetry puissent le découvrir. Il me paraît essentiel aujourd’hui de mutualiser nos énergies.
Quelles sont tes dernières découvertes que tu aurais envie de nous faire partager ?
Le dernier album que je viens tout juste de découvrir est celui du groupe A singer must die, qui a eu la gentillesse de m’envoyer son album. Cet album me plait beaucoup, il est ambitieux, mélodieux, de la pop comme je l’aime. Comme celle des 49 Swimming Pools dont le dernier album est sorti fin 2014 (NDLR : magnifique album dont la chronique est à lire ici : Chronique – 49 Swimming Pools – Songs Of Popular Appeal). Ces derniers jours, j’écoute également les nouveaux albums de Blonde Redhead, de Björk et de The Do, qui sont des artistes que j’écoute depuis longtemps et que j’affectionne. Par ailleurs, je replonge régulièrement dans les albums de ces artistes avec délice : Other Lives, Patrick Watson, Bat for lashes, Nick Drake, Loney Dear, Son Lux, Efterklang et tant d’autres… Et sinon, j’ai hâte de découvrir le nouvel projet de Liesa Von der Aa.
Je suis un partisan convaincu de l’urgence de remettre de la poésie dans la vie (dans la musique, le quotidien, nos rapports avec les gens, …) A cet égard le nom que tu as choisi n’est pas neutre : il y a quelque chose de « militant » derrière ?
Oui absolument ! C’est ma façon de m’engager. Je sais que pour certains, ça peut sembler naïf de croire qu’insuffler de la poésie dans nos vies peut changer les choses… Pour ma part, j’en suis convaincue. Quand je me nourris de beauté, aussi subjective qu’elle soit et peu importe la forme qu’elle prend, je sens que mon état d’esprit est différent, je ressens plus d’élan, plus de joie. Et je ne pense pas être la seule.
Quelles sont tes influences littéraires et cinématographiques ? Tu as des poètes, des écrivains fétiches ? Des films ?
Alors je cite en vrac Alessandro Barrico, Oscar Wilde, Edgar Allan Poe, Barjavel … Hayao Miyasaki, Mike Cahill, Park Chan Wook, Terry Gilliam, Lars von Trier… Kimiko Yoshida, Kirsty Mitchell, Thomas Dodd Jimmy Nelson etc… Evidemment, j’oublie là encore plein de gens qui ont beaucoup nourri mon imaginaire…
La musique de film ça te tente ?
Oh que oui, j’adorerais ! Mais seulement pour un film dont le propos me parle vraiment. Mike Cahill, appelle moi !
Quels sont tes projets pour 2015 : un album, des concerts, la tournée avec Miossec continue ?
La tournée de Miossec bat son plein jusqu’à Avril 2015. Ensuite nous aurons quelques dates au printemps et dans l’été. Je vais donc me concentrer sur l’écriture de l’album de Pagan Poetry. J’aimerais bien le sortir en 2016. Je préfère prévoir large car j’ai des envies particulières pour cet album, qui vont me demander une vraie organisation et des moyens. Parallèlement, je souhaite continuer les concerts, trouver des premières parties, trouver des lieux de résidence pour travailler etc. J’ai également demandé à quelques artistes français de revisiter des titres de mon EP « The Unseen ». Je devrais donc sortir un EP de remix, sûrement en version numérique, dans le cours de l’année.
Pour finir si tu as une citation que tu aimes bien…
Il y a celle d’Einstein que j’ai déjà citée plus haut : « Il est possible qu’au delà de ce que nos sens perçoivent, se cachent des mondes insoupçonnés ». Et celle-ci d’Oscar Wilde : « Be yourself, everybody is already taken » (Soyez vous-même, les autres sont déjà pris).
Merci Nathalie.
Vous pouvez retrouver la chronique de Pagan Poetry ici : Chronique – Pagan Poetry.
Et la playlist de Nathalie Réaux ici : Playlist – Nathalie Réaux (Pagan Poetry).
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