Live report – The Apartments + 49 Swimming Pools – La Gaité Lyrique (23 septembre 2015).

Peter Milton Walsh by Matthieu Dufour


“Melancholy is the happiness of being sad.” – Victor Hugo

Paris, 23 septembre, devant le théâtre de la Gaité Lyrique. Je n’ose pas encore entrer malgré l’impatience. J’attends ce moment depuis tellement longtemps. Des années en fait. Un siècle. Des nuits à me nourrir de la voix ébréchée de Peter Milton Walsh, de ses compositions à fleur de peau, de cette musique du bout du monde. Alors je veux profiter de cet instant, submergé par cette fameuse mélancolie, ce flou, cet entre-deux, ces émotions inverses. Retarder encore le contact avec la foule des fidèles, partagé entre le plaisir de croiser ces visages connus, ces amis avec qui partager ce secret, et l’envie de vivre cet événement dans ma bulle, retiré en moi-même.

‘’I have always preferred the reflect of the life to life itself’’ – François Truffaut

Une éternité plus tard tout cela me semblera un peu ridicule. Cette façon de refuser le contact réel, de me confronter à la vie. Cette manie de tout vouloir romancer, de penser que la vie est une comédie et que seule la littérature et les chansons disent la vérité. Après avoir reçu le choc de ce concert fantastique mes souvenirs seront brouillés. Je n’aurais plus que ces chansons en tête. La musique incroyablement bouleversante de ce chanteur dont on se demande parfois s’il est réel, si sa musique n’est pas un songe. Quelques jours plus tard j’irai à Brest, je ferai des kilomètres tel un croyant en pèlerinage, pour vérifier que ce concert a bien eu lieu.

‘’Style is the answer to everything.’’ – Charles Bukowski

Mais cette appréhension est sans fondement avec des types comme Peter Milton Walsh. Dandy pop, il est la classe incarnée, Il est sa musique, habité, possédé avec grâce, il embarque la soirée et le groupe franco-australien (Natasha Penot, Antoine Chaperon, Fabien Tessier, Nick Allum, Eliot Fish : chacun dans son registre plus qu’à la hauteur de l’événement) soudé autour de lui dans un show d’une justesse incroyable. Commençant par aligner les chansons déjà classiques de son dernier album il fascine et la salle se remplit de sourires et d’ondes positives. No Song, No Spell, No Madrigal, puis Looking For Another Town, Black Ribbons placent la soirée sur orbite. Sur scène, Peter Milton Walsh propose une énergie que l’on n’attend pas forcément. Il a ce truc en plus, ce charisme.

“In any case you mustn’t confuse a single failure with a final defeat.” – Francis Scott Fitzgerald

L’émotion qui était déjà palpable à l’entrée atteint un premier sommet avec Twenty one. La salle se fige, le groupe prend du recul, les appareils photos et les portables sont en berne, le public communie avec celui qui n’est plus une icône, un artiste adulé, mais simplement un homme qui depuis des décennies construit une œuvre à partir de ses blessures, de ces déchirures que chacun doit affronter à un moment ou un autre. Quelques minutes en apnée. D’une beauté bouleversante.

‘’Melancholy were the sounds on a winter’s night.” – Virginia Woolf

La salle reprend ses esprits. The House That We Once Lived In, September Skies, le magnifique Please Don’t Say Remember, Swap Places défilent. Cette musique rare et précieuse, une musique d’automne, d’hiver, un châle, un plaid sur nos plaies. J’imagine que la plupart des personnes présentes se souviennent précisément du moment où ils sont entrés en collision avec la musique de Peter Milton Walsh. Comme tous les précédents, le dernier album m’accompagnera encore cet hiver. J’ai fait le plein de mélancolie pour un bon moment.

“A poet is a nightingale who sits in darkness and sings to cheer its own solitude with sweet sounds.” – Percy Bysshe Shelley

La nuit est tombée sur un Paris engourdi. Des souvenirs lointains remontent à la surface aux première notes de All You Wanted : ces soirées de solitude au milieu des autres, ces heures à s’en remettre à la poésie de troubadours des antipodes, ces jours interminables, ces erreurs, ces tourments, ces plaies dont certaines ne sont pas toutes refermées.

“I wasn’t meant for reality, but life came and found me.” – Fernando Pessoa

On every corner. La musique de The Apartments est importante pour chacun de nous ici présents. Nous avons tous des histoires différentes, des brûlures, mais à un moment ou un autre nous avons été unis par cette mélancolie, ce décalage, ce sentiment, même éphémère de ‘’non-adaptabilité’’. Nous avons tous été unis par la beauté unique et intemporelle de ces morceaux hantés. Mais le passé est passé. Il faut continuer à vivre.

“My soul is a hidden orchestra; I know not what instruments, what fiddlestrings and harps, drums and tambours I sound and clash inside myself. All I hear is the symphony.” – Fernando Pessoa

Les 49 Swimming Pools avaient ouvert la soirée de la plus belle des manières. On connaît les liens qui unissent les deux groupes, Emmanuel Tellier et Peter Milton Walsh, on redécouvre avec joie ce plaisir d’être sur scène, de partager ces moments en ‘’famille’’, entre amis, avec ceux qui savent, ceux qui sont liés par ces pépites d’orfèvres pop. Le sourire permanent de Fabien Tessier, la transe électrique d’Etienne Dutin, le charisme tranquille d’Emmanuel Tellier, l’énergie classieuse de Samuel Léger, ne peuvent laisser de marbre. Même ceux qui ne connaissent pas et sont venus pour voir l’idole de leur jeunesse meurtrie.

‘’Knowing when to leave may be the smartest thing anyone can learn’’ – Burt Bacharach

Je ne vais pas vous mentir, on aimerait tous que cette soirée n’en finisse pas. Mais l’on sent bien avec l’arrivée des chansons plus anciennes que la fin est proche. Il faut savourer. Je regarde mes voisins, tout le monde rayonne de cette étrange lumière douce. Le rappel suspend le temps. Mr Somewhere ou Sunset Hotel, deux merveilles émouvantes, le genre de truc qui vous fait venir les larmes. Heureusement pour mon maquillage, le set se termine par une version euphorisante de The Goodbye Train, une interprétation portée par un groupe au sommet de son art. La salle exulte. Cette fois on y est. This is the end.

‘’Gatsby believed in the green light, the orgastic future that year by year recedes before us. It eluded us then, but that’s no matter – tomorrow we will run faster, stretch out our arms further… And one fine morning – So we beat on, boats against the current, borne back ceaselessly into the past.» – Francis Scott Fitzgerald

Repartir à l’assaut. Le retour dans un Paris quasi désert, comme dans un rêve, comme dans un film. Tenter de se souvenir de toutes ces sensations, même des plus infimes détails, d’en encrer les empreintes précises sur mon âme momentanément réparée. Fermer les yeux, se laisser dériver avant de se reprendre. Se dire que demain il faudra bien s’y remettre. Le cœur enveloppé de cette douce euphorie. Celle que seule la musique de ces génies peut procurer. Se souvenir que dans quelques jours, le miracle pourra se reproduire à Brest. Se demander si la vision de Peter Milton Walsh conversant avec un Robert Forster au moins aussi élégant à côté des toilettes était bien réelle. Se souvenir des belles choses.


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To be continued…


© Matthieu Dufour


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