Live report – The Apartments – La Carène – Brest (26 septembre 2015).

The Apartments II

Photo by Greg Bod


L’art du commun, l’art d’être commun, l’art de faire Communauté. 

Peter Milton Walsh de The Apartments, personnification de The Apartments, l’a bien compris.

Quand No Song No Spell No Madrigal est sorti il y a quelques mois, Peter se montrait tel qu’en lui-même, commun parmi les communs, vivant les drames que seuls quelques uns traversent mais que tous craignent.

Là où on le serait tenter par le piège de l’oubli, la fatigue de l’usure, l’australien préfère tendre vers nous ces choses que l’on garde dans ses coins obscurs.

Ce soir du 26 septembre, nous n’étions pas légion, nous étions seuls face à Peter qui s’adressait à chacun de nous, chaque individu.

Nous étions une légion de messieurs quelque part, Nous étions communs et communauté. 

Nous étions un seul et même corps fait de la chair et des morts de Peter Milton Walsh, de ses mots et de ses larmes.

Quand je me retourne sur les photos prises de ce concert, les miennes, celles de Matthieu ou encore celles de Jerôme Sevrette, j’y retrouve dans les traits tendus de Peter Milton Walsh cette douleur sans maîtrise qui se dilue sinueusement en nous.

Pourtant, ce soir-là, que cela soit sur scène ou que cela soit parmi nous, silhouettes de papier, il n’y avait rien de mortifère ni de ciel plombé… Car parfois certaines douleurs quand elles deviennent trop grandes ne peuvent plus être mesurées, ne sont plus interprétables par le cœur humain…

Car alors, la seule chose qui nous sauve de nous-mêmes, c’est ou le silence ou le partage…

L’australien a choisi les deux. Ou plutôt les deux se sont imposés à lui…

Car il est des concerts où le verbe est nécessaire, car il est des concerts où le silence se fait le calque de nos imaginaires, car il est des concerts où les silences viennent remplir de leur signifiance le verbe.

Ce soir du 26 septembre, il n’y avait rien de mortifère  mais plus la réunion de ces êtres communs que nous sommes avec un être commun passé du côté des ombres.

Ou comment du commun naît un moment hors du commun. Pas un événement fait d’esbroufe et de flamboyance mais l’expression d’un être plein et entier.

Un événement marqué par le deuil et la mort mais jamais appuyé par une impudeur dérangeante.

Une force assumée, une fragilité reconnue.

Je me rappellerai longtemps la douceur de Natasha Penot réajustant la sangle de la guitare sur l’épaule de Peter comme une mère qui réajuste la tenue de son fils  un jour de rentrée scolaire. Je n’oublierai pas cette tendresse véritable dans leurs regards.

Je me rappellerai longtemps de Natasha Penot qui descend dans le public pour le dernier titre (What’s Left Of Your Nerve) comme si pour un instant, la « belle chanteuse » (comme se plait à la nommer Peter Milton Walsh) voulait être de ce commun, de ce public. Partager avec nous l’émotion, être de cette fébrile attente.

Comme si elle avait déjà compris que tout a une fin,  les bons moments surtout… Les mauvais qui durent bien trop longtemps.

Je me rappellerai la crispation du visage de Peter Milton-Wash sur le douloureux Twenty One, son sursaut  d’énergie dans un Goodbye Train épique.

Ce soir du 26 septembre, nous n’étions pas légion mais nous étions un seul, porté dans une émotion commune. Celle de ceux que tout traverse, celle que le chagrin a un jour chosifié… Celle de ceux qui laissent grandir malgré eux les êtres aimés qui ne sont plus là, qui les laissent vieillir…

Ce soir du 26 septembre, tu étais avec nous, Peter, de retour à la vie, de retour à nous avec tes fantômes, avec nos doutes, avec tes silences, avec nos craintes.

Ce soir là, nous étions un et un seul, toi, nous, toi, nous, tous…

Maintenant je vais retourner au silence de tes chansons, ces She Sings To Forget You, ces Knowing You Were Loved ces House We Once Lived In et je sais que tu seras là à nous y attendre, là quelque part, toi notre Mr Somewhere….

Au silence et ses mots…


Greg Bod


The Apartments IV

Photo by Greg Bod


Qu’est-ce qui me lie à cet homme élégant au visage d’adolescent prématurément vieilli, ce type qui murmure du bout des lèvres sur No Song No Spell No Madrigal ? Qu’est-ce qui nous unit ? Qu’est-ce qui nous a tous rassemblé, Greg Bod, elle, Jérôme Sevrette, eux, lui, ici dans la petite salle de La Carène à Brest en ce beau soir de septembre ?

Facile me direz-vous, la musique intemporelle et le lyrisme rocailleux de Peter Milton Walsh, ce goût pour les plaisirs mélodiques solitaires. Another Town, Black Ribbons. Oui certainement. Mais je sais que j’ai plus de points communs avec cet étranger familier, avec ce voisin de soirée, qu’avec une grande partie de ma famille. Ma famille ce soir c’est eux. Le public. Les groupes. Peter Milton Walsh. Une famille en magie noire, une fratrie en lumineux désespoir, une bande soudée et tournée vers une même étoile.

Quand les premières mesures de Twenty One imposent naturellement une retenue digne et émue au public comme au groupe, je sais que les secrets qui nous éloignent, les blessures qui nous distinguent, les chemins étrangers que nous avons foulés, sont bien moins importants, que les émotions qui nous lient, que les sourires qui nous rassemblent, que les pleurs qui nous unissent. Cette envie commune de caresser les soirées envolées, de vendre nos larmes au diable.

Qu’est-ce qui unit les 49 Swimming Pools qui ont ouvert la soirée de la plus belle des manière : avec cette fougue touchante, ce panache tranquille, cette lumineuse envie. Qu’est-ce qui nous lie à leur musique ? Une certaine idée de la vie, de la musique, une amitié sincère et profonde, le plaisir, le goût du partage et Peter Milton Walsh. J’ai vu ce soir des gens qui n’avait jamais écouté un disque des 4 mousquetaires taper dans leurs mains avec un entrain sincère.

Par quels sortilèges sont liés les membres de ce groupe, ces musiciens français, australiens, des jeunes, des moins jeunes, un membre des 49 Swimming Pools ? On dirait qu’ils jouent ensemble depuis des siècles, que House We Once Lived In, Septembre Skies ou Please Don’t Say Remember sont des classiques indémodables qu’ils pourraient jouer les yeux fermés en équilibre sur ce fil fragile fait d’émotion à vif et d’énergie meurtrie, alliage rare de joie précaire et de frôlements de peaux épuisées. Peter Milton Walsh est ce lien invisible, beaucoup plus solide qu’il n’y paraît. Il est la colonne vertébrale de ce grand orchestre des amours fantômes. De cette famille de cœur. Il suffit de voir la « belle chanteuse » Natasha Penot aider le dandy australien à caler la sangle de sa guitare (moment oh combien émouvant) pour en être convaincu.

Qu’est-ce qui me lie à Greg B, mon hôte, qu’est-ce qui me lie à Pascal B que j’aurais aimé avoir à mes côtés pour partager cette dernière date de la tournée, qu’est-ce qui me lie à Yan K, Brestois exilé à qui je pense, je ne sais pourquoi, en écoutant Knowing You Were Loved ? Une certaine conscience de l’inéluctable, de l’éphémère. Une certaine envie de rester debout malgré les coups. Ce goût pour les ballades qui prennent aux tripes.

Things You’ll Keep, All You Wanted, Everythnig’s Given. Ces pépites des antipodes sont universelles, elles nous rassemblent en un espéranto oxymorique inventé par ces génies pop pour dire nos quêtes inquiètes d’un graal improbable. La salle ne fait qu’un, partout où je regarde il y a des étoiles dans les yeux, les paroles des somptueuses composition de l’Australien sur les lèvres de chacun, il y a des sourires parfois fatigués, il y a ces effluves de passions jamais oubliées, sur les visages les stigmates de ces drames engloutis.

Every Corner. Je suis certain que mon voisin ou la femme derrière moi ont connu eux aussi ces départs précipités d’un appartement devenu froid et hostile malgré les années bleues, je revois encore la pochette de Drift sur le parquet : dans ma fuite je pouvais tout laisser derrière moi mais pas ce disque.

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Photo by Matthieu Dufour

Quand j’ai dit que j’allais revoir jouer The Apartments à Brest, seuls quelques initiés ont compris. Certains m’ont même envié, je le voyais dans leur regard brillant à la sortie du concert Parisien. L’occasion de revivre ce moment unique. L’occasion de me pincer pour voir que je n’avais pas rêvé. A ceux qui ne comprenaient pas je disais « il vient d’Australie pour jouer chez nous une semaine, je peut bien aller au bout de la terre, de notre terre pour le voir jouer un soir ». Finistère. Là où se termine une terre, la tournée, là où des histoires s’achèvent. Aller au bout, de soi, au fond, faire le deuil. Se regarder dans le mur. Se reconnaître. Repartir.

Qu’est-ce qui me lie à cette ville que je ne connais pas ? Qu’est-ce qui lie cette ville que je ne connais pas à la musique de Peter Milton Walsh. Cette ville de caractère, cette ville aux visages marqués. Nous sommes comme cette ville. Ce soir nous sommes Brest. Détruite, reconstruite, des avenues au cordeau, comme des cicatrices à peine refermées. Cette ville qui ne se livre pas au premier venu, cette ville pudique qui cache sa beauté et sa chaleur derrière une apparence de distance et de laideur ordinaire. Cette ville idéale pour abriter le dernier soir de cette tournée magistrale. Cette ville a une âme. La pop inimitable de Peter Milton Walsh aussi. Une belle âme.

Le concert de ce soir est enlevé, soul, le chanteur secoué par l’énergie des survivants, la proximité de la scène, la taille de la salle, la communion, tout est parfait. C’est encore meilleur qu’il y a deux jours. Ce sentiment inconscient mais partagé qu’il faut profiter de ces derniers sursauts. Tout le monde embarque à bord d’un Goodbye Train hanté. Mr Somewhere, Sunset Hotel, What’s Left Of Your Nerve (jouée pour la seule fois de cette tournée). Tout le monde voudrait prolonger cette intense communion malgré la fatigue qui se lit sur les visages du groupe.

Natasha est descendue dans le public. Comme pour profiter elle aussi de ce moment. Comme une évidence. Ce qui nous lie, ce qui nous unit, ce qui nous rassemble. Elle est parmi nous et nous sommes un peu avec eux sur la scène. Il y a de nous tous dans ces chansons.

Le ciel bleu, la douceur de l’été indien, l’accueil de Greg, nos discussions sans fin sur la musique, l’intime, celle qui nous tient, celle qui nous lie, celle qui parfois nous sauve, tout était réuni pour faire de cette soirée un de ces moments dont on se souvient longtemps. Ce soir pour tous, Peter Milton Walsh est le héros ordinaire d’un soir extraordinaire. Une parenthèse fantôme, là au bout de tout.

Alors je ferme les yeux, je sens les gens qui peu à peu quittent la salle. Mes paupières se soulèvent. Je me penche et je vois, ma vie qui s’écoule. Je me penche et je vois, le grain de sa beauté qui redouble. Je me penche et je vois, trouble je crois. Dans la nuit une silhouette, une aile froissée, un cours brisé, un cœur en panne, une âme plâtrée. Je suis comme ces chercheurs de trésors, je cherche encore, malgré les échecs, je cherche encore pour qu’à jamais à l’aube et au ciel, je puisse enfin un jour assister au sursaut de l’ange.

Qu’est-ce qui nous lie Peter Milton Walsh, eux, elle, lui, moi ? Lui de l’autre côté de la terre.

Nous sommes comme les racines infinies de son ciel.

Ou l’inverse, je ne sais plus.

Oui, ou l’inverse.

Peu importe.


Matthieu Dufour



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Photo by Jérôme Sevrette