Chronique – Centredumonde – Rêvons plus sombre.
Chères lectrices, chers lecteurs, j’ai décidé de sortir de ma récente retraite chronitique. En effet, j’estime que l’heure est suffisamment grave pour me retrouver à rédiger ces quelques lignes en pleine nuit. Tel un Sarkozy incapable de décrocher ou un Jean-Louis Borloo enfin dessaoulé, j’ai décidé de parler et de vous inciter à vous ressaisir, à nous ressaisir collectivement.
Si l’offre musicale n’a jamais été aussi foisonnante, aussi diverses, aussi éclatée, le peuple de France semble s’en moquer comme jamais, méprisant les essais des artistes les plus sincères comme les tentatives de séduction putassières des faussaires les plus doués. Notre fier peuple élevé au son des Lumières et des odes à Résistance a fermé ses oreilles et reste sourd à nos appels. Les salles de concert enchainent des release parties formatées devant des publics pour le moins clairsemés, les disques ne se vendent pas, les consommateurs picorent, zappent, streament sans payer, la musique ne fait plus rêver que ceux qui la font.
Loin de moi l’idée de jeter en pâture des noms à la vindicte populaire : nous sommes tous responsables, nous sommes tous coupables, et je tiens à prendre ma part comme chacun. Les labels qui ne prennent plus de risques ou essayent de reproduire les martingales ancestrales, les musiciens professionnels qui manient Logic Pro et la souris sans âme, les apprenties stars qui marketent leurs projets sans se demander s’ils ont quelque chose à dire, les recycleurs de vieilles ficelles clientélistes qui produisent ce que des oreilles paresseuses veulent entendre, ressassant à l’envie et à longueur de webzine des éléments de langage conçus par des communicants cyniques, les blogueurs feignants qui recopient des communiqués de presse ou tressent des louanges dithyrambiques toutes les cinq minutes à une prétendue nouvelle sensation en enchainant des superlatifs moisis et des métaphores d’adolescent contrarié. Oui, moi aussi, j’ai fait des promesses que je n’ai pas tenues, je vous ai incité à écouter des folkeux neurasthéniques, de pâles copies d’un passé glorieux, des artistes qui n’avaient pas d’autre projet que quelques minutes d’une gloire toute relative ou d’autre ambition que d’expulser un mal être sans le moindre recul. Je comprends donc tous ceux qui sont tentés par un abstentionnisme musical logique et tout à fait justifié. Je m’étais moi-même décidé à laisser tomber. Je comprends ceux qui préfèrent rester vautrés devant une énième émission de télé réalité où de jeunes ambitieux multiplient les reprises de vieux tubes frelatés. Je comprends ceux qui font remonter sur le haut de leur pile les valeurs sures du passé.
Mais je veux aussi vous dire que mon vote pour l’album de Centredumonde n’est en rien un vote par défaut ou un vote utile. Non, ce n’est pas un vote stratégique destiné à éliminer tel ou tel autre projet. Mon vote est un véritable vote de conviction, un vote d’adhésion pour un programme qui me semble posséder plusieurs qualités essentielles : la lucidité, la singularité, la nécessité. Entre autres. Et vice versa. La nécessité de dire le monde, la vie, et leur absurdité quand tant d’autres alignent des mots comme on enfile des perles par habitude. La lucidité d’un regard capable d’une autodérision salutaire et d’une sincérité désarmante. La singularité d’une voix neutre et pourtant chantante qui fond ses influences pop, post-punk, rock, dans un genre de dark/folk/pop wave mélodieuse et addictive. Auteur-compositeur compulsif (je vous en ai parlé là : Bang – Une introduction à Centremonde) Joseph Bertrand resserre ici son propos et concentre son talent sur 10 titres imparables. Du riff entêtant de « Rêvons plus sombre » à la mélodie faussement apaisée de « The Chapaquiddick incident », Centredumonde égraine un chapelet de (vraies) chansons souvent grisantes, toujours émouvantes. Embruns alcoolisés, échos de virées balnéaires, rythmes binaires, sons vintages, guitares titubantes, mots justes et terriblement touchants. Je pourrais citer tous les morceaux mais j’éprouve une tendresse particulière pour « Danse morose », tube de l’été pour les amoureux solitaires et enivrés qui donne envie de partir pour la première boum en plein air venue et d’avaler quelques verres pour se donner le courage d’aborder cette fille intouchable, « Les ondes gravitationnelles » synthèse parfaite du savoir-faire de Centredumonde avec sa voix sur un fil, sa mélodie complice et sa poésie d’un quotidien où il existe bien plus de cinquante nuances de gris. Parce qu’on a beau jouer les durs, on a tous une part de midinette en nous.
Débarrassé de toute idéologie contraignante, Joseph Bertrand semble bien décidé à faire exploser le système des étiquettes, des genres, des blocs. Oui Centredumonde a décidé de prendre le meilleur de chaque monde. S’il chante dans sa langue maternelle, Joseph Bertrand manie l’ironie au scalpel comme seuls d’habitude les anglais (de Ray Davies à Morrissey) savent le faire. Joseph Bertrand ne se voile pas la face, se présente devant vous électeurs, sans fard, sans fausses promesses, sans solutions toutes faites, avec juste la volonté de continuer à vivre malgré le poids de tout ce qui voudrait nous en empêcher. De tout ce qui devrait logiquement nous inciter à renoncer.
J’ai bien conscience que les consignes d’écoute n’ont plus d’influence, que vous êtes assez grands pour savoir par vous-même ce que vous devez écouter ou pas. Je sais que ma parole n’a que peu de poids. Qu’une fois de plus je cède à mes démons : quand j’aime, je ne compte pas. Ni les éloges, ni les excès d’enthousiasme. Mais me taire dans de telles circonstances est impossible. Je refuse le ni-ni, je refuse de renvoyer dos-à-dos les rejetons d’un système qui tourne en vase clos, les énièmes avatars d’une oligarchie artistique aveugle et sourde, et un projet ambitieux et porteur d’un sombre espoir comme celui de Centredumonde.
Alors assez de finasseries comme dirait le bonze de Bordeaux, aujourd’hui tout est encore possible si nous choisissons de rêver plus sombre avec Joseph Bertrand.
Vive la musique, vive Centredumonde !
© Matthieu Dufour
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