Chronique – LOU – Et après, on verra…

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C’est un bord de terre, quelque part à l’Ouest, un de ces angles élagués qui plongent sans prévenir, attirés par les profondeurs, lestés de tous les mots de la terre. Un de ces bouts de monde qui ne débordent pas de chaleur. Là, juste sur le rebord de mes peines, antiques et vaines, les traces presqu’effacées d’un mâle aimé, d’une femme pas banale. Jusqu’à la fin. Jamais l’un sang l’autre. C’est une ruelle déserte du Marais où sur le pavé sèchent encore quelques larmes évadées d’un corps abandonné. C’est le début de l’hiver. Ou la fin de l’été. Ou l’inverse. Ce n’est pas vraiment important, le monde s’en moque, occupé ailleurs par ses petites misères de grand monde. Les hommes s’en fichent, égoïstes, imperméables depuis des saisons aux changements capricieux des vents marins. Pas elle. L promène sa silhouette longiligne sur le bord de cette falaise de granit, la pierre de son enfance, une dureté polie par les embruns. L se glisse à pas de loup dans les rues de la ville des humeurs fières, la ville des lunes d’hier. L a posé sa voix, là, en équilibre sur l’arrête de cette pierre sombre et lumineuse qui marque le début de la fin, la vaine indication d’une hypothétique limite à ne pas franchir. Soleil noir. L’appel de l’excès. Sa voix à elle, L le sait, jamais ne chutera. Jamais. Elle n’a même plus besoin de remuer les lèvres, d’ouvrir la bouche. Là, sur le pont veuf, sa voix s’échappe par toutes les pores de sa peau claire. Elle flotte. Mue par une force vitale, animée par des forces, des muscles mystérieux, sa voix semble se retirer à peine apparue, elle chuchote au vent des excuses, des déclarations d’amour, des explications de désamour, elle murmure à la lumière tombée bien bas des espoirs tenaces, elle dessine sur les murs de l’Histoire des corps invisibles, des vies déviées, des âmes pêcheresses, elle ralentit, elle baisse d’un ton, semble s’excuser. Disparaît dans la poussière des derniers rayons de soleil, s’enroule autour des colonnes de blanc et de noir vêtues. Puis réapparait sur le fil acéré de cette pierre. Glisse sur ce pavé glacé. Indestructible. J’observe de loin, comme derrière un miroir sans tain. L ne me voit pas. J’aurais honte. C’est la brise venue du large qui délivre ses mélopées d’une tension très douce. C’est le fleuve bercé par ses complaintes mélancoliques. C’est une côte jadis sauvage où le soir venu quelques braises tentent encore de relever une flamme fatale. Terriblement sensuel. Terriblement rassurant. Terriblement insuffisant parfois. Pour la vie. La vraie. Pas celle des œuvres, pas celle des arts, pas celle des contes. Compliqué. Mais tellement passionnant. Tellement vivant. Sa voix était probablement là avant L. Avant les draps brisés, avant les bras croisés, avant les lits des âmes en peine, avant les pêches miraculeuses, avant la solitude d’un amour à sens unique. Elle préexistait, avant sa naissance déjà, elle accumulait les histoires, les déceptions, les lueurs au matin entraperçues, les bruits des chutes, ceux des blessures, des coupures, des déchirures. Quand L est arrivé, tout était en place, ne restait plus qu’à incarner cette voix à la façon d’une héroïne de Duras. Amoureuse, ivre d’envies et de douleurs, lucide et pourtant lumineuse. Une âme en ombre déportée. Résistante. Ne restait plus qu’à se poser les questions, qu’à interroger nos doutes. A la lisière de nos jours effrontés, à l’orée des nuits sans sommeil. L est là, à portée de caresse, posée à la terrasse de ce café caché dans un coin. Dissimulée derrière ses lunettes noires. Retirée du monde l’espace d’un instant, ne voyant pas tous ces regards qui la cernent presqu’amoureusement. Les regards de ces inconnus qui l’admirent, comme irrésistiblement attirés par le mystère de cette silhouette évanescente. L est là sur cette plage. Abandonnée. Jusqu’à la prochaine fois. L est là, à quelques dizaines de mètres, immobile, scrutant l’horizon comme on attend la marée, avec fatalisme et plaisir. Elle ne chante plus, lève les yeux au ciel, je devine ses cils qui battent des ailes comme des éphémères surpris par la lumière qui perce les nuages flâneurs.

L se retourne et me demande alors dans un souffle fauve « et après ? »…

« On verra… » répond le vent à ma place dans un murmure noué.

J’ai la gorge sèche.

On verra, on verra…


« Think how you love me, » she whispered. « I don’t ask you to love me always like this, but I ask you to remember.

Somewhere inside me there’ll always be the person I am to-night. »

Francis Scott Fitzgerald.



LOU, trois lettres, un souffle singulier qui fait frissonner l’épiderme, un prénom ambigu, flou, doux, menaçant, sec, chaud, sensuel, volontaire, dense. Toutes ces émotions, tous ces sentiments, toutes ces couleurs tous ces bruits du passé ressuscités, toute cette vie dans seulement trois lettres. L’art de la sobriété. Du minimalisme. LOU sait la puissance de la retenue, des ellipses, des mots nus. Elle sait qu’une courbe, qu’une silhouette découpée dans l’ombre est mille fois plus intrigante qu’un corps livré en pâture en pleine lumière du jour. La musique de LOU est de celles qui saisissent au sens propre, sa voix attrape votre cœur chancelant dans ses serres de soie et son lyrisme nocturne et ciselé s’immisce dans les moindres recoins de votre esprit. Je ne me souviens pas avoir entendu une aussi bouleversante entrée en matière que La Prunelle De Mes Yeux (Roads peut-être…), autant de tension mélancolique en si peu de temps. Une veine pleine diamants bruts, purs : Égale À Moi-Même, Oceanic Sentiment, D’Avril À Juillet, … pas une qui soit en retrait, en dessous, moins sublime. Une voix au bord du précipice, emplie de beauté fragile, une demi-heure en apesanteur, un voyage par monts et par doutes, une fièvre glacée qui parcourt des veines chamadées et déboussolées par tant de beauté, des veines qui ne demandent qu’à éclater. Le syndrome de LOU.

Encore un automne à Paris.Une nouvelle chronique qui n’en n’est pas vraiment une. Pour un disque de plus de cinq ans. Un siècle en temps 3.0. Un geste inutile. Encore un automne à Paris. Errer à pas d’heure. Humeur de feuille morte. La rumeur de la perte l’emporte. Clin deuil à tes rives à géométrie invariable. Quitter la Seine. Je me pardonne. Encore un automne à Paris. Humeur de feuille morte. J’attends que le vent m’emporte.

Je laisse au monde et à ses puissants, aux contents d’eux-mêmes, aux cyniques leurs certitudes, leurs bons goûts et leur routine, moi je vais m’en remettre à l’ombre et au doute, à un nouveau voyage immobile, à la beauté précieuse du flux et du reflux des mots de LOU car « je sais dans quels bras me blottir ». Ceux de ces huit titres, huit gouttelettes d’un élixir de douce liesse. Courage, car tendre est la nuit. Espoir, car tendre est la nuit. Et après ? On verra…


© Matthieu Dufour



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