Interview – Alex BBH.

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Photo by Eric Vautrey

Découvrez la playlist concotée par Alex pour Pop, Cultures & Cie : Playlist – Alex BBH


Peux-tu nous parler un peu de ton parcours, comment tu es arrivé à la musique ?

Ça a commencé tout petit. Mon père a toujours fait de la musique à la limite entre amateur et professionnel. Il y avait donc des instruments à disposition à la maison et leur pratique était bien évidemment encouragée. Du coup j’ai fait du bruit plus ou moins bien organisé avec pas mal d’instruments jusqu’à ce que je me fixe sur la guitare. À partir de là j’ai commencé à foirer mes études encore plus qu’avant. Puis j’ai composé mes premiers morceaux. Quand on a goûté au plaisir de la création, il n’y a pas de retour possible.

Je me suis mis à bosser sérieusement en demandant de l’aide à un ami pour le solfège et l’harmonie puis je suis allé à l’école ATLA à Paris. J’y ai appris beaucoup et il m’a fallu plusieurs années pour arriver à utiliser toutes ses connaissances pour écrire. J’ai toujours expérimenté et écrit en parallèle, mais je n’en ai pas gardé grand chose. La suite est un mélange entre projets personnels et collaborations, travail en orchestre, enseignement, musique à l’image… une vie de musicien !

Quels ont été tes premiers chocs musicaux ?

Enfant j’ai été bercé au folk irlandais et américain, à la musique classique et au jazz. J’ai adoré Mozart et Bach, j’avais plus de mal avec Beethoven. J’en garde aussi une fascination pour les voix d’Ella Fitzgerald, Billie Holiday ou Louis Armonstrong et pour les arrangements vocaux des Kings singers. À l’adolescence, j’ai dérivé vers le rock, d’abord en piquant les vinyles de mon père (Beatles et Pink Floyd au menu), vers le hard, puis j’ai été pris par la vague grunge. Mais mon premier gros choc personnel fut Bob Marley. Charisme, message et quel son !

Tu revendiques des influences majeures ?

Je n’arrive pas à en déterminer car j’ai été exposé à trop de choses différentes. Jacques Brel m’a autant influencé que Laurent Garnier ou Bob Dylan, Geoffrey Oryema ou John Adams et bien d’autres encore.

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Peux-tu nous parler un peu de BBH, sa genèse ? Pourquoi les 3 EPs ? 

Le projet prend son nom des trois EPs, à moins que ce ne soit le contraire, je ne me souviens plus bien. En général, je commence un projet quand j’en ai une vision globale. Je vois ce que je veux dire et comment je veux le formuler. La phase de maturation qui précède ce moment est souvent faite de prises de notes et d’essais de sons. Je ne réutilise presque jamais ces brouillons, mais ils me permettent de rendre réel ce que j’imagine.

Je fais aussi des musiques d’illustration pour lesquelles je dois répondre à la demande d’un réalisateur tout en proposant des choses. Ça me pousse à sortir de mes habitudes. J’aime explorer de nouveaux processus créatifs, changer d’instrument, de matériel d’enregistrement. Je suis un éternel débutant.

Pour ce projet, je voulais faire quelque chose de très électronique. Je sortais d’un disque enregistré en analogique, avec très peu d’informatique et uniquement de « vrais » instruments, un travail de groupe avec réalisateur et directrice artistique… et j’ai pris le contrepied. J’aime bien faire ça. Du coup, j’ai aussi écrit les textes sur un iPad. Pas de papier. Je regrette un peu car je n’ai pas de traces des brouillons et des maquettes de pré-production. Je les ai pour mes autres albums, on y trouve toutes les tentatives, expérimentations et erreurs qui ont mené au résultat final, c’est toujours intéressant de pouvoir se replonger dedans.

Mais BBH s’inscrit dans ce monde, je l’ai voulu comme une sorte de miroir. C’est donc assez logique qu’il n’y ait aucune trace des fautes qui aident à la construction et qu’on ne garde que le résultat final.

Big, Bang, et Humain sont les trois parties d’une même histoire. Big est un constat amer de l’évolution du monde ; Bang, l’explosion intérieure d’un homme ; et Humain, une reconstruction de cet homme bouffé par sa vision noire du monde grâce à la rencontre d’une personne complémentaire. J’ai longtemps hésité à en faire un seul album, mais la structure même du projet impose ces 3 parties. Et puis, l’avantage avec les sorties digitales, c’est la liberté du format. Mais pour la sortie physique à venir, je vais les réunir.

Pourquoi cette dimension mystérieuse (si ce n’est pas indiscret…) ?

Tout le monde me dit ça. Ça a été une vraie source d’étonnement pour moi, tant je me mets à nu dans mes chansons. Mais on est plus habitué à voir des artistes se mettre à poil pour promouvoir des chansons sans aucun sens, d’où la probable confusion.

C’est vrai que je ne montre pas mon visage dans mes clips et mes photos, mais je ne cherche pas à me cacher. Sur scène, je ne porterai ni masque ni casque. Mais comme j’ai tout réalisé moi même dans ce projet (à l’exception des illustrations dessinées par Caroline Lowenbach), je ne suis jamais devant la caméra : je la tiens !

Finalement, je suis content que ça donne une sensation de mystère, même si ce n’est pas vraiment voulu !

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Photo by Eric Vautrey

Comment vis-tu la partie promotion de ton travail, Facebook, etc. ? Aujourd’hui c’est compliqué pour émerger, il y a beaucoup de projets de qualité, l’artiste doit souvent se transformer en ‘VRP’ de son œuvre…

Je ne suis pas un grand fan de cet exercice d’auto-promotion, mais comme j’ai eu la chance d’avoir plus de bons que de mauvais échos sur mon travail, je le vis plutôt bien. La promotion passe beaucoup par Facebook, c’est dur et extrêmement chronophage, mais il faut le faire.

C’est vrai qu’il y a beaucoup de projets de qualité aujourd’hui. Mais ça c’est positif. Je suis beaucoup plus préoccupé par l’espace pris par des albums assez inintéressants voire franchement mauvais, le côté très mainstream de la production musicale. Ce sont ces disques qui masquent le plus le reste et empêchent les artistes d’émerger.

Internet et le numérique ont fini de libérer le processus de diffusion de la création musicale. Je peux maintenant faire un album chez moi de la page blanche à l’auditeur. C’est passionnant car on se sent vraiment artisan, mais on a aussi plus de mal à se faire entendre.

A ce sujet, Mikaël Charlot de La Rive a écrit « Faire de la musique, écrire des chansons, exprimer ses émotions est une chose naturelle. Tout le reste, aller vers les gens, réclamer de l’attention, une écoute, chercher une audience, ne l’est pas. » Tu en penses quoi ?

Je suis entièrement d’accord. J’aime écrire et jouer. J’y prends un pied phénoménal, c’est ma façon de respirer. Le reste n’a aucun sens. J’ai parfois l’impression de mendier l’attention des gens. Comme beaucoup d’artistes, je me rend compte que lorsque je propose aux gens de télécharger ma musique gratuitement, je recueille difficilement quelques « likes », alors que si je poste une photo de chaton rigolo ou une vanne idiote, tous les pouces se lèvent et mon statut est partagé. C’est assez désespérant.

Quel regard portes-tu sur l’industrie musicale, son évolution ?

Je suis un peu inquiet et très enthousiaste. Pour moi le monde de la musique s’est coupé en deux : d’un côté l’industrie musicale, de l’autre les artistes. Ça ne veut pas dire que tout est noir ou blanc. Il y a de très bons artistes qui sont signés dans des entreprises qui travaillent dans l’industrie musicale. Ceux-là sont des locomotives pour l’ensemble du secteur. Mais les têtes pensantes (du point de vue de la gestion) de ce business ont été complètement dépassées par la révolution internet. Alors qu’avant l’an 2000 le piratage musical se faisait déjà à coup de téléchargements intensifs à assez haut débit, et avec une perspective d’évolution à la hausse et de progression technologique exponentielle, les majors ont considéré qu’elles pourraient endiguer ce phénomène et continuer leur business comme si de rien était. Une erreur incroyable. À chaque tentative elles ont fait une pub d’enfer aux différents réseaux de distribution pirates. Elles auraient dû se transformer, évoluer, anticiper. Elles ont fini par changer, mais avec 15 ans de retard et sous la contrainte. Aujourd’hui beaucoup de gens ne voient pas pourquoi ils paieraient pour de la musique. Le mal est fait et l’industrie du disque porte une lourde responsabilité dans cette histoire.

Maintenant, comme dans toutes les crises, on est dans cette période formidable où tout est à inventer. Ça explose dans tous les sens et je pense que, petit à petit, quelque chose va émerger. Comme toujours. Mais il ne faut pas croire pour autant que tous les artistes vivront de leur art. Ça n’a jamais été le cas et ça ne le sera jamais. Après tout, ce qui compte c’est de créer.

Tu te sens des affinités avec d’autres artistes français émergents ?

Musicalement, je ne sais pas trop. L’underground français est tellement riche de productions extrêmement diverses. Mais philosophiquement, je me sens proche de beaucoup de monde. Je cite en vrac : Laure Brisa, Orso Jesenska, Bajram Bili, Pain Noir, Rémi Parson, Imagho, Summer, Ichliebelove… il y aurait tellement de noms à mettre. Tous ces artistes proposent quelque chose de très riche, de vrais histoires, c’est passionnant de naviguer au sein de l’underground français en 2015 !

Qu’est-ce que tu écoutes comme musique ? Des coups de cœurs récents ?

J’essaye d’écouter un max de choses différentes, mais en ce moment, je suis beaucoup dans la pop au sens très large du terme. Il faut dire aussi que j’écoute beaucoup pour les chroniques !

Bajram Bili et Ichliebelove sont mes deux derniers coups de cœur, mais dans mes écoutes du moment il y a aussi Sofia Bolt, Odran Trummel, Odessey & Oracle, Laure Brisa, Jean-Michel Jarre (c’est intéressant de voir à quel point il a influencé la scène électro d’aujourd’hui), Bumpkin Island, Le dernier Chassol, Todd Terje, Mocke, Imagho, Theophilus London… Et je commence à déguster les premiers extraits du futur Dempster Highway !

Tu viens de démarrer des chroniques pour un webzine (Froggy’s Delight) : quelle est ta motivation ? Comment envisages-tu cette activité ?

Je vois ça comme un acte militant. Je ne connaissais pas grand chose à l’univers des webzines avant de commencer la promo de mes EPs. J’en suivais quelques uns pour découvrir des albums, mais je ne me rendais pas compte qu’il y avait autant de gens passionnés. C’est un des bons côté du net. J’ai envie de parler d’artistes dont j’admire le travail, de me lancer dans des écoutes hasardeuses pour tomber sur des petites merveilles à partager. Il faut donner de la visibilité à tous ces artistes qui continuent à se lancer dans des projets passionnants alors que l’industrie pond de la musique sans intérêt et squatte tout l’espace médiatique.

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Photo by Alex BBH

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Photo by Alex BBH

Quelles sont tes éventuelles autres influences artistiques : poésie, cinéma, littérature, arts plastiques ?

J’ai beaucoup de mal à citer des noms pour la simple raison que je les oublie. Ça cache aussi une petite difficulté à assumer les références. Elles sont une source d’inspirations mais elles peuvent êtres écrasantes.

Mais j’ai bien sûr des artistes et des œuvres qui me hantent. Baudelaire notamment. J’ai utilisé une quinzaine de ces poèmes que j’ai mis en musique pour faire un spectacle il y a une dizaine d’années. J’aime la poésie de Prévert, de Proust, d’Orson Wells, de Cocteau… Il y a de la poésie dans toutes les formes d’expression et c’est ce qui me plait. J’ai aussi mis en musique des poèmes d’auteurs anglais et américains. Je suis tombé amoureux de Christina Rossetti dont les vers sont très modernes malgré leur âge. Bref, sur le côté littérature, c’est assez décousu !

J’ai travaillé pendant plusieurs années dans une galerie d’art, j’ai donc eu l’occasion de côtoyer pas mal d’artistes plasticiens, en personne et au travers de leur création. C’était passionant et je sais que ça a fait mûrir mes projets personnels. Un artiste m’a particulièrement marqué, c’est Constantin Brancusi. Bien sûr, je ne l’ai pas rencontré, mais j’ai passé un mois au milieu de ses œuvres, c’était bouleversant. Sylvie Demay, une artiste peintre, m’a aussi beaucoup apporté. Par les discussion que nous avons eu et par ses tableaux qui m’aspirent totalement.

On me dit souvent que ma musique est très cinématographique alors que ma culture dans ce domaine est déplorable. Mais je voudrais que chacune de mes chansons soit la B.O. d’un film que l’on peut voir en fermant les yeux.

Quels sont tes projets pour les mois à venir ? 

Je prépare le live de mes 3 derniers EP et leur sortie physique, mais je suis déjà sur la sortie de l’album suivant, radicalement différent (folk et en anglais). Je viens aussi de terminer l’enregistrement d’un disque instrumental électronique et commencé l’écriture des chansons qui formeront l’album suivant. J’ai monté ma boîte pour pouvoir me produire de façon autonome et remettre en vente sur internet un LP et un EP que j’ai faits il y a quelques années aux côtés de mes prochaines sorties. Dans l’immédiat, j’ai hâte de retourner sur scène, d’y monter seul avec une guitare pour raconter mes histoires.


Pour (re)lire les chroniques des EPs c’est par ici :

Chronique – BBH – Bang & Humain

A suivre – BBH – Big


Pas mal de gens chroniqués sur ce blog aussi dans les artistes cités :

Chronique – Odessey & Oracle

Chronique – Rémi Parson

Chronique – Pain Noir

Chronique – Orso Jesenska

Chronique – Summer