Chronique – Pauline Drand – L’édition rouge (double EP)

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Chère Pauline,

Votre musique bientôt parée de rouge est arrivée à bon port, je vous en remercie.

Précédée des rumeurs les plus flatteuses, auréolée de bleu et ornée de toutes ces références étincelantes, cette musique, je vous l’avoue, avait l’allure impressionnante de ces femmes belles et élégantes, sûres d’elles, conquérantes. Pas un truc pour moi pensais-je malgré le grand plaisir procuré par quelques notes entendues ci et là Aux jours de juillet. Pourtant, il y avait ce je-ne-sais-quoi infime, ce petit rien invisible, ce fil de ‘’soi’’ à peine perceptible qui me disait de ne pas renoncer aux charmes de ces femmes elliptiques.

Et puis il y a Aéroport, cette rengaine vénéneuse et envoutante, et cette phrase qui s’enroule autour de mon cœur délicat comme on étreint parfois trop. Ces mots comme un shoot indispensable, une addiction instantanée « et comme si le temps c’était nous, c’était nous, vraiment, et comme si le temps c’était nous, c’était nous, seulement ». Des mots enfin mis sur ce qui n’était jusque là qu’une ombre rodeuse.

Je devais donc surmonter ma timidité, oser approcher vos compositions d’une subtilité touchante. Passer le Pont-Neuf, laisser cette fille dériver au gré de ses pensées, quitter la Seine pour mieux renaitre. Pavese disait « On ne se souvient pas jours, on se souvient des instants ». Je devais donc accepter de revoir ces moments où ma vie partait « a volo sans un bruit », accepter de replonger dans « la crue de nos larmes et de nos remords ». Oui je devais lâcher prise, franchir cette frontière invisible qui sépare l’ordre du chaos, le jour de la nuit, remonter le long de ce chemin de ronces et de poussière, revoir ces instants s’écrire d’une encre diluée dans les méandres de mes souvenirs, dans le delta de ces pensées que l’on croyait noyées. Ce n’était finalement pas si compliqué, je devais juste me laisser porter par votre voix, cette voix, qui contrairement à tous ceux qui ont déjà pu dire sa beauté, ne me faisait penser à aucune chanteuse connue.

Cette voix n’est pas celle de B, F ou encore C. Elle est celle du vent chaud qui enveloppe une île sauvage de Loire au lever d’un jour d’août bercé d’une lumière crue. Cette voix qui renferme tout ce qui m’épargne, tout ce qui m’apaise. Cette voix qui le soir sans réfléchir me suit sur le fil incertain de mes humeurs vacillantes. Cette voix, Pauline, votre voix est celle des liens sibyllins qui relient mon cœur exsangue aux forêts luxuriantes de mes rêves brouillés d’enfant. Elle est celle d’un amour qui achève son cours au milieu des carpes et des diadèmes, elle est celle d’un amour renaissant en plein cœur de l’hiver. Un clin deuil. Un coffre-faible pour nos émois fragiles et gracieux. C’est une clairière inondée de cette lumière irréelle qui traverse les cimes élancées des bouleaux impassibles. C’est cette ville grise et froide que je trouve si belle. C’est le chant de joie et de chagrin mêlés des oiseaux qui migrent à l’heure. Toujours. Avec une régularité terrifiante.

Autrefois Pauline, il y a fort longtemps, j’ai su. Enfin j’ai cru. Et puis j’ai vu l’espoir éteindre à petit feu la lumière sombre des châteaux forts. J’ai cru pouvoir atteindre de peu la gloire hivernale des noires hellébores, j’ai vu ma langue enfreindre quelques lois, laisser filer et choir quelques métaphores. Et voilà qu’aujourd’hui tout le monde écrit, tout le monde chante, tout le monde. Mais pour la grâce de quelques secondes de poésie nuancée, combien de chants sont trop courts, combien de chants sont juste tristes. Pas de ça chez vous. Tout y est singulier. Et pluriel. Chaque chanson semble vivre sa vie propre faisant fi des convenances et autres habitudes.

Pauline je ne suis pas musicien, je ne sais donc pas trop comment qualifier votre musique, quelque part entre une chanson française délestée de son insupportable et pesant pathos, et un folk pop terriblement contemporain derrière des apparences parfois classiques, je me retrouve un peu dépourvu à l’heure d’en dire les charmes, la douce sorcellerie, la magie blanche. Elle virevolte tellement plus haut qu’une grande partie de la production actuelle. Mais ce que je sais Pauline, c’est que ces quelques chansons qui ne ressemblent à aucune de celles qui hantent ma discothèque, ces notes à la mélancolie fière, ces mots à la poésie inspirante hanteront longtemps mes marches nocturnes dans un Paris déserté ou dans ces matins blêmes de l’hiver qui pointe sa rigueur, ils seront les compagnons de ces fins de saison entre deux eaux, ils accompagneront l’éclosion attendue du printemps à la vie revenu autant que les charmes des éphémères étés indiens. Vous dites si bien, et avec une belle économie de mots, les regards pleins et bavards, les regards fuyants, les mains joueuses qui se fondent puis s’échappent, la volatilité imprévisible de ces humeurs éclectiques. La vie comme elle vient, lucide, comme elle va, rêveuse. Votre musique est un film. Mon plus beau rôle.

Que notre vie est belle Pauline, quand à l’excès parfois elle nous rappelle, que ce putain d’amour est beau quand il excelle à vivre si haut, si vite, quitte à chuter, quitte à entailler nos cuirs pourtant déjà tannés, comme un sécateur affuté qui prendrait un malin plaisir à tailler une émotion bourgeonnante pour mieux la voir repousser un peu plus tard.

Alors je m’épanche une fois encore, malgré ma timidité je suis un incorrigible bavard, je m’épanche, mes pensées vont parfois plus vite que mes doigts, je m’épanche, et décousu je file, blanc, Pauline, je ne voudrais pas vous importuner plus longtemps. Mais soyez sûre que je ne serai jamais très loin de ces ballades qui semblent avoir élu domicile entre chien et loup, entre ciel et terre, entre le monde des esprits et celui de ceux que l’on appelle souvent à tort les vivants, ce lieu imaginaire qui n’appartient qu’à vous mais où je crois nous serons bientôt très nombreux à venir humer l’air du temps qui file. Ce lieu peuplé de ces ellipses qui nous invitent à nous relever malgré tout, à refuser la fatalité malgré nous, ces mots qui nous disent tout bas de ne pas renoncer. A la vie, à l’amour, aux autres. A soi.

Il me reste à vous remercier, Pauline, pour cette parenthèse enchantée et peut-être onirique. Après avoir écouté en boucle ces dix chansons rougeoyantes pendant quelques jours, il me semble que je n’ai plus d’humeur, bonheur, malheur, ça dépend des heures, de ce coeur balancier et moqueur, ce soir je n’ai plus d’humeur, non, ce doit être l’automne.

Alors je crois bien Pauline, que le temps c’est nous. Vraiment.

Sincèrement,

Matthieu Dufour


PS

C’est le repos éclairé, ni fièvre ni langueur, sur le lit ou sur le pré.

C’est l’ami ni ardent ni faible. L’ami.

C’est l’aimée ni tourmentante ni tourmentée. L’aimée.

L’air et le monde point cherchés. La vie.

– Était-ce donc ceci ?

– Et le rêve fraîchit.

Arthur Rimbaud.


PPS

L’amour a la vertu de dénuder non pas deux amants l’un en face de l’autre, mais chacun des deux devant soi-même.

Cesar Pavese